Théâtre inédit du XIXe siècle

Aux Petites-Dalles

A-propos en un acte et en prose

Par M. Auguste SOUFFLOT

__________________________

Personnages:

D'ALBERGE, comédien

M. SAMSON

UN MAITRE BAIGNEUR

M. SAMSON

MADAME THOMSON, comédienne

Mme ANNA DEVIN

JEANNE, paysanne

Mme ANNA DEVIN

EUGENIE THOMSON, comédienne

Mme MARY D'ASSONVILLE

UN JEUNE GANDIN

Mme MARY D'ASSONVILLE

LEON, garçon d'hôtel

M. BARBIER

UN FACTEUR RURAL

M. BARBIER

_____________

L'action se passe aux Petites-Dalles, pendant la saison des bains de 1878. - Un salon du Grand-Hôtel des bains.

_____________

 

SCENE PREMIERE

Léon, époussetant les meubles.

Quelle chance j'ai eu de refuser les offres des messieurs de l'hôtel de Veulettes. Je sais bien que leur hôtel est un bel hôtel; pour un bel hôtel, c'est un bel hôtel. N'empêche que la troupe des artistes parisiens, qui va nous arriver dans un instant, a donné la préférence à M. VEZIER et aux Petites-Dalles. Quel honneur, tout de même, pour le patron, et quelle gloire pour la localité ! Allons, allons, Léon, mon garçon, décidément tu as eu une bonne idée en restant ici. C'est tellement vrai, que je me sens pas d'aise. Je vais donc, enfin, voir de près des comédiens, c'est-à-dire de beaux messieurs et de belles dames qui feront venir beaucoup de monde dans le pays, gagner de l'argent au patron, et entrer, deci, delà, quelques écus dans mon boursicaut.

SCENE II

Le même, d'Alberge.

D'Alberge, il entre en fumant un cigare.

Garçon.

Léon, saluant.

Monsieur,... qui y a-t-il pour le service de monsieur ?

D'Alberge.

Ces dames sont-elles arrivées ?

Léon.

Si monsieur veut parler des dames qu'on attend de Paris, non, monsieur, ces dames ne sont pas encore arrivées.

D'Alberge

Elles ne sauraient tarder; je vais, en achevant mon cigare, aller jeter un coup d'oeil sur la plage, et comme elle est très proche, j'entendrai certainement le bruit de la voiture. Prévenez, toutefois, ces dames que je suis ici.

Léon.

Sous quel nom aurai-je l'honneur d'annoncer monsieur, à ces dames ?

D'Alberge.

Dites leurs que d'Alberge les a précédées d'un instant. (Il sort.)

SCENE III

Léon, seul.

D'Alberge !... Cet artiste est assurément du Midi. Je me suis laissé dire que les Alberges sont de cette provenance. Mais qu'il soit du Midi, du Nord ou d'ailleurs, si je dois en juger par la prestance de ce monsieur d'Alberge, nous allons avoir des artistes chics, très-chics, même. Rien qu'à respirer l'odeur de son cigare, on devine l'homme comme il faut;... ça sent le londrès... premier choix. Que oui, que oui, que j'ai bien fait d'accepter les offres du patron. (Se frottant les mains.) Il est clair qu'on va rigoler ici.

SCENE IV

Le même, madame Thomson, Eugénie.

(On entend un bruit de voiture.)

Léon,

Voici ces dames ! Allons, Léon, de la tenue, mon bonhomme !

Madame Thomson.

Garçon, allez, je vous prie, prendre nos bagages et aider à les monter dans la chambre que M. Vézier a dû nous faire préparer. En descendant, dites qu'on fasse déjeuner... à notre compte, le cocher qui nous a menées. Cet homme a été rempli de soins et d'attention pour nous. A propos, un monsieur est-il venu nous demander ?

Léon, à part.

Sapristi, les belles femmes ! les belles artistes ! (haut.) Oui, madame, je cours exécuter les ordres de madame. (A part.) Mon Dieu, les belles femmes ! (Haut.) Oui, oui, madame, M. d'Alberge est ici... à deux pas,... et si madame le désire, je vais aller le prévenir que madame...

Madame Thomson.

Non, non, en l'attendant nous allons monter un instant dans notre chambre, dés que vous y aurez déposé nos bagages.

Léon, en sortant.

Oh! les belles femmes ! les belles femmes !

SCENE V

Les mêmes, moins Léon.

Madame Thomson.

Dis donc, Eugénie, c'est bien ici, ne trouves-tu pas ? Et quel ravissant pays nous venons de parcourir! Il n'y a que cette dernière descente qui m'ait un peu effrayée; j'avouerai même que si le cocher m'eût inspiré moins confiance, j'aurais demandé à mettre pied à terre.

Eugénie

J'avoue, quant à moi, chère mère, n'avoir pas partagé ta frayeur. J'étais complètement envahie par le charme du paysage : ces bois, ces plaines, ces pommiers en bordure et qui ressemblent à d'énormes bouquets de boule de neige ; ces champs verts, rouges, jaunes; ces belles vaches qui , en curieuses, s'avançaient presque sur la route et semblaient nous souhaiter la bienvenue; tout cela passant sous mes yeux, comme en un immense panorama, m'a plongée dans une extase qui m'était inconnue. O ! chère mère, comme à l'heure présente notre Bois de Boulogne me semble petit et mesquin !

Madame Thomson

Sais-tu, ma fille, que je t'admire! j'étais loin de te croire ces goûts champêtres ; quel enthousiasme ! quel feu ! Que sera-ce donc quand tu auras bu du vrai lait, du lait de ces vaches dont tu me parlais tout à l'heure ! quand tu auras vu la mer, cette immensité si calme ; si terrible, parfois ; si majestueuse, toujours ! Ne crois pas, du moins, que je veuille me rire de toi; moi aussi j'ai tout vu, tout admiré. Si bien que je me dis, si les habitants de Petites-Dalle sont aussi aimables et hospitaliers que leur vallée est délicieuse, nous sommes appelés à passer ici une charmante et agréable saison. Mais, n'est-ce pas d'Alberge que j'entends fredonner ?

SCENE VI

Les mêmes, d'Alberge.

D'Alberge, avant d'entrer on l'entend chanter :

Que j'aime à voir en Normandie,

Cette vallée, dont je fais mon séjour !

(Il entre et va serrer les mains de la mère et de la fille.)

Eh bien! chères belles, que dites-vous de cette contrée normande ? que pensez-vous de notre nouvelle résidence ? N'est-ce pas à se croire en vallée de Chamouny, avec la mer de glace en moins et la Manche en plus ? en attendant que j'aille présenter mademoiselle Eugénie à la mer,... je devrais dire ... la mer à mademoiselle Eugénie, je viens de faire un tour dans la longue rue des Petites-Dalles, et je suis ravi, comme vous le serez bientôt vous-même ; que dis-je ? comme vous me semblez l'être déjà, si j'en juge par les paroles que j'ai saisies au vol, en entrant. Partout : de bons et gais visages ; puis des arbres, des fleurs, de charmantes villas, de fraîches et coquettes chaumières cachées sous leur rosiers et leurs plantes grimpantes ; des filets de pêche; des enfants qui vous sourient, sans se fourrer les doigts dans le nez ; des chiens qui n'aboient pas après vous ; enfin, que sais-je... des poules qui vous passent familièrement entre les jambes. Cette fois, nous allons donc pouvoir nous vanter de manger des oeufs frais. Savez-vous ce que c'est que des oeufs frais, mademoiselle Eugénie ?

Eugénie.

Je suppose que ce sont des oeufs qui ne ne renferment pas de petites poulets, est-ce bien cela, monsieur le professeur ?

Madame Thomson

En vérité, je vous le dis, mon cher d'Alberge, Eugénie est devenue, en quelques heures, la fille des champs la plus accomplie. Je gagerais qu'avant deux ou trois jours, c'est elle qui vous expliquera ce qui distingue: le blé, du seigle; l'orge, de l'avoine; le trèfle, de la luzerne ; la betterave, de la pomme de terre ; et qui vous dira le nom de ces jolis champs jaunes qui m'ont si fort intriguée. Je me tromperais bien si de professeur vous ne deveniez élève. Mais je bavarde sans songer à aller faire un doigt de toilette, avant de goûter aux oeufs frais promis et de conduire Eugénie sur cette plage si ardemment désirée par la chère enfant: allons, allons, viens, chère mignonne. (Elles sortent.)

SCENE VII

D'Alberge, seul.

Elle a dit: un doigt de toilette; n'est-ce pas une pierre lancée dans mon jardin; aussi vais-je en faire deux doigts. Etant donné que l'homme est le roi, le président de la création veux-je dire, il importe que je sauvegarde l'honneur du pavillon. (Il sort.)

SCENE VIII

Un facteur rural, parlant à la cantonade.

Léon ! Léon ! ben oui, pas pu d'Léon que d'beurre dans les épinards que Catherine me prépare. Où diable est-il fourré ? Depuis qu'on attend ces artisses d'Paris, j'crois bien qu'il a perdu l'esprit. C'est à ce point que v'là déjà deux jours qu'il oublie d'm'offrir un verre d'cidre. Le Bon dieu sait bien, lui, si je l'gagne c'verre d'cidre, à faire ce métier d'juif errant. Ah ! dame, c'est que c'qui fait le bonheur des uns, n'fait pas l'mien, à moi! Tant pus qu'y a d'monde, tant pus que j'marche et tant pus que j'ai mes pauvres pieds en sang; et encore, pour éviter certain reproche... j'mets pas d'chaussettes ! Mais là ben vrai, c'est tout de même gentil pour les Petites-Dalles, d'avoir à elles une troupe d'chanteurs et d'comédiens. Partout ous que j'passe, j'nentends pus que ces mots: sont-y z'arrivés? Les avez-vous t'y vus. J'vas m'en payer itou, moi, d'la comédie et du chantage! J'ai tiré mon plan: j'louerai l'vélocipède à Jean-Pierre d'Sassetot, et, par ainsi, j'pourrai terminer ma tournée deux heures plus tôt et n'pas manquer une représentation. L'dimanche, j'prendrai Catherine en croupe et la mère Grand gard'ra les moutards. Ah ! enfin, c'est pas malheureux, j'entends Léon. En v'là un chançard qui gagne d'l'argent sans bouger d'place, et qui va voir les messieurs et les dames d'Paris tous les jours, les servir, leur z'y parler; ah ! l'chançard, l'chançard. (Il sort en appelant: Léon ! Léon !)

SCENE IX

Le facteur, un maître baigneur.

(Au moment où le facteur sort, entre le maître baigneur qui le bouscule et le force à rentrer.)

Le facteur, se frottant l'épaule.

Ah! mais, ah ! mais, dites-donc , père Lavoile, vous n'voyez pas qu'y a n homme d'vant vous et que c'thomme est un z'employé du m'nistère des finances ! Ah ! mais, ah ! mais.... savez-vous.

Le maître baigneur.

Pardon, excuse... mossieu l'employé du ministère des finances! Plus que ça de conversation ! Mossieu en est-il content des finances ? Plaisanterie à part, mon pauvre coure-toujours, ous qui n'y a pas d'intention, n'y a pas d'offense ; et si le père Lavoile est un brin brusque dans ses mouvements, il est nonobstant et toutes fois et quand, z'un bon enfant ; à preuve qu'il vous offre, à titre d'consolation et d'vulnéraire suisse, un mélé-cassis.

Le facteur.

Accepté, père Lavoile, mais à une condition : c'est que j'payerai ma tournée, afin d'prouver à tout un chacun, qu'la terre et l'eau peuvent vivre en bonne intelligence.

Le maître baigneur, lui tendant la main.

Tope là, mossieu de l'Eau... de mer... et allons-y gaîment. (Ils sortent).

SCENE X

Un gandin, pince-nez, une canne d'une main, un bouquet de l'autre.

Je l'ai vue... je l'ai vue... par la fenêtre; elle est charmante ! Je crois qu'elle m'a aperçu, je crois même qu'elle m'a lancé un regard, un regard comme les femmes de théâtre savent, seules, les lancer. Quel fluide ! J'en ai ressenti un courant électrique qui m'a fait trésaillir. Arthur, mon bon, c'est l'heure, c'est le moment... prenez vos billets. Qu'est-ce que je dis donc là ? Est-ce que par hasard ma tête battrait la breloque ? Le fluide ! le fluide ! C'est le moment, et si je sais tenir la corde, je dois arriver bon premier, ne fut-ce que d'une encolure. Il s'agit seulement d'arriver avant que papa n'arrive lui-même aux Petites-Dalles. Pour ce faire, je vais glisser un louis à Léon, et le charger de porter ce bouquet dans la chambre qu'occupe l'objet de ma flamme. Si mademoiselle Eugénie l'accepte, et elle l'acceptera, le fluide m'en est un sûr garant, je glisserai un autre louis au même Léon et le chargerai de faire suivre à un billet le chemin du bouquet. Est-ce assez compris ? Je me le demande.

Audacès fortuna juvat.

Quelle gloire pour moi si je parviens à me faire agréer comme chevalier servant de cette jeune et charmante actrice ! sur la plage, lorsqu'on me verra passer, on se dira, en me montrant: c'est lui, le voilà !! Je sais bien qu'il y a maman. Eh bien ! quoi ? est-ce qu'il n'y a pas papa ? Arthur, mon bien bon :

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Mais assez causé, il faut que je trouve Léon. (Il sort.)

SCENE XI

Jeanne, elle entre en faisant force révérences.

Bien le bonjour,messieurs, mesdames et la compagnie. Tiens il n'y a personne. (S'adressant au public.) Vous me regardez et vous êtes étonnés, quasiment tous, d' m'voir si pimpante. eh ben ! ous qu'y a d'la gêne n'y a pas d'plaisir;........

L'auteur du site des Petites-Dalles, fatigué de recopier ce texte à la Bibliothèque Nationale, s'est arrêté là. On cherche le courageux qui voudra bien aller recopier les 9 scènes restantes (à noter qu'il est interdit de photographier ou de photocopier les textes anciens à la BN !).

 

Jean-Claude Michaux nous fait parvenir, à ce propos, le texte suivant:

L'extrait de la pièce en un acte d'Auguste Soufflot fait penser à l'anecdote rapportée quelques années plus tard, par Constant de Tours dans : "Vingt Jours d'Etretat à Ostende" Paris 1891:

 

Au nord de Fécamp, à dix-huit kilomètres, à peu près à mi-chemin de Saint-Valéry-en-Caux, se trouve la jolie station des Petites-Dalles. La route que nous suivons est tout aussi belle que celle d'Etretat à Fécamp. : la voiture remonte les charmantes vallées de Valmont et de Ganzeville, passe par Colleville et Valmont, qui possède un magnifique château datant de l'époque féodale et une ancienne abbaye dont l 'église renferme des merveilles de la Renaissance.

Après avoir traversé le parc du château de Sassetot, on descend le délicieux vallon où s'abrite le hameau des Petites-Dalles. C'est comme toujours depuis le Havre, une plage de galets étroitement resserrée entre les hautes falaises et qui plonge en pente rapide dans la mer ; le sable fin commence à s'y mêler timidement aux cailloux. Séjour tout à fait intime, sans apparat mondain, les familles paisibles vivent ici dans la plus douce tranquillité. Et pourtantÉ.grands dieux ! qui l'eut cru ? nous y avons vu éclater une révolution !

Notons en passant l'épisode, c'est un trait de moeurs des plages, Mme Thénard, de la Comédie française, accompagnée de quelques camarades en tournée sur le littoral, parmi lesquels Valbel, retour de Saint-Pétersbourg, venait d'arriver aux Petites-Dalles et devait jouer le soir. A la hâte on dispose en salle de spectacle le grand salon de l'Hôtel, servant de Casino. Mais on avait compté sans la « jeunesse » qui, bientôt, arrivait joyeuse à la cloche du dîner, avec l'idée bien arrêtée de danser pendant toute cette soirée réglementairement consacrée au bal. Horreur ! La salle de bal, discrètement éclairée, ressemblait à une nef d'église un jour de prêche : les rangées de sièges s'alignaient parallèles et serrées. A table d'hôte on avait commenté très passionnément ce changement subit de programme : les « ascendants » étaient pour la comédie, leurs « descendants » pour les sauteries. Après le repas, de nouveaux venus, locataires des villas voisines, munis de lanternes de familles et emmitouflés dans des « sorties » nocturnes, grossirent en nombre à peu près égal les deux camps ennemis. Il n'est pire, dit-on, que moutons enragés : la charmante artiste put à peine paraître en scène ; des cris aigus, où perçaient de délicieuses petites voix féminines, réclamèrent obstinément des lampions ! Le Maître de céans se contenta d'éteindre ceux qu'il avait allumés, pour faire évacuer la salle : le vacarme continua de plus belle dans l'obscurité : quelqu'un conseilla d'aller chercher la garde ! Mais où ? La mer elle-même reculait devant cette révolte, c'était un doux reflux de morte-eau. Bref, tout le monde battit en retraite ; comédiens, spectateurs d'âge mûr, danseurs d'âge tendre : « véritable retraite de Russie, dit Valbel qui en arrivait ». C'est ainsi que fut troublée tout un soir la quiétude habituelle des habitants des Petites-Dalles.

Il y a de nombreuses excursions à faire aux environs ; É..