Les Alberti étaient une famille féodale ; ils s'étaient enrichis en investissant dans le commerce international et la banque ; ils étaient même devenus les banquiers du pape et étaient peut-être la famille la plus riche du continent européen à la fin du XIVe siècle.
A cette époque, une famille rivale prend le pouvoir à Florence ; les Alberti vont alors connaître l'exil pendant une trentaine d'années, tout en continuant à faire prospérer leurs sociétés en Europe et en Méditerranée. C'est à cette époque que naît Leon Battista. Une réintégration partielle a lieu en 1428, mais c'est lorsque Côme de Médicis - qui les a remplacés comme banquier du pape - rentre à Florence, en 1434, que les Alberti recouvrent tous leurs droits. Peu de temps après, une série de faillites entraîne néanmoins le ruine de la famille à la fin des années 30.
Battista degli Alberti (qui ajoutera plus tard Leone à son prénom) naît à Gênes le 18 février 1404 alors que sa famille est exilée loin de Florence. Il est un enfant illégitime puisque son père, Lorenzo degli Alberti, n'est pas marié (on peut supposer que la mère est une domestique). Quelques années plus tard, Lorenzo se transfère à Venise ; le jeune Battista étudie à Padoue, puis, après la mort de son père, il se rend à Bologne pour suivre des études de droit ; dès l'âge de vingt ans, il écrit une comédie en latin, puis des textes sur l'amour, ses premiers "Propos de table", etc. A cette époque, Battista, attiré par les lettres, s'oppose aux membres de sa famille qui voudraient le voir s'orienter vers le commerce et la banque. Quelques temps après avoir obtenu son diplôme, il prend les ordres mineurs et intègre, à Rome, l'administration pontificale ; pendant des années, il suivra donc les déplacements des papes et de la Curie en tant que haut fonctionnaire ; il sera présent, en particulier, au moment où se réunira le Concile de Ferrare, ensuite transféré à Florence, et qui aura tant de conséquences culturelles et intellectuelles.
Ce n'est que vers 1434 que Battista découvre sa patrie, c'est-à-dire Florence. Âgé d'à peine trente ans, il produit ce qui est peut-être son chef-d'oeuvre, "Les Livres de la famille". Mais il se met alors à dos le milieu des humanistes locaux en agissant, jusqu'au début des années 1440, pour promouvoir théoriquement et pratiquement la littérature en toscan. Alberti découvre aussi les nouveautés artistiques florentines et s'intéresse de près à la peinture. C'est sans doute à cette époque qu'il écrit son autobiographie et fond deux autoportraits sous forme de plaquettes.
Il est question d'architecture dès la lettre de présentation du "De pictura" à Brunelleschi (1436) et, au début des années 1440, Alberti parle du fait qu'il conçoit, pour se distraire, des édifices. Quant au traité d'architecture, il aurait été présenté au pape en 1452. Mais le premier document qui atteste que l'architecte est mêlé à une construction, c'est la lettre à Matteo de' Pasti sur la construction du Temple des Malatesta du 18 novembre 1454.
En revanche, à la même époque, il est peu probable qu'Alberti soit intervenu dans le vaste programme architectural et urbanistique de Nicolas V, dont il se moque plusieurs fois dans le Momus et qu'il condamne implicitement dans le traité d'architecture. La conception des quatre édifices qu'Alberti dessine pour le patricien florentin Giovanni Rucellai date probablement de cette période, même si l'on ne dispose d'aucun document qui le prouve.
A l'occasion de la Diète de Mantoue de 1459, Alberti fait la connaissance du marquis Ludovico Gonzaga, qui lui demande alors un projet pour l'église de San Sebastiano ; à la fin des années 1460, le marquis (qui traite l'architecte avec déférence) lui commande aussi un projet pour achever la tribune de l'église de l'Annonciade, à Florence. Les années 1460 sont par ailleurs une période où Alberti reprend fortement contact avec sa patrie et sa famille, particulièrement en récupérant la propriété du palais qui avait appartenu à son grand-père Benedetto et en « adoptant » Bernardo, le fils d'un de ses cousins. En 1470, l'architecte donne le projet de l'église mantouane de Sant'Andrea, dont la construction ne commencera qu'après sa mort, intervenue en avril 1472, quelques mois après avoir fait visiter les ruines romaines au jeune Laurent le Magnifique.
Alors qu'en 1481, le poète florentin Landino pouvait encore se demander dans quelle catégorie placer Alberti, on peut dire que dès la publication du "De re aedificatoria", en 1485, Leon Battista est considéré avant tout comme l'architecte qui a « sorti des ténèbres » (c'est l'expression qu'on utilise) Vitruve et les principes de l'architecture classique ; quelques autres ouvrages sont bien publiés ou cités mais sans qu'ils puissent contrebalancer l'influence du traité majeur. Les édifices construits eux-mêmes ne sont cités ni par Landino, ni par Politien, ni par Paul Jove. Et il faut attendre les célèbres biographies des artistes de Giorgio Vasari, en 1550, pour qu'une première liste de bâtiments attribués à Alberti soit publiée.
Ce n'est que très progressivement que l'on découvre l'oeuvre littéraire d'Alberti. Au milieu du XVIIe siècle, Trichet du Fresne peut déjà affirmer, en citant une assez longue bibliographie, que l'architecte et théoricien des arts est au moins autant un homme de lettres. Mais il faut attendre la publication de nombreux textes en italien, au milieu du XIXe siècle, pour que l'idée s'impose avec évidence : c'est en effet alors seulement que sont publiés les "Livres de la famille". Puis viennent, à la fin du même siècle, les premiers Propos de table, redécouvert dans leur quasi totalité il y a seulement quarante ans. Ces derniers révèlent alors la part de la personnalité d'Alberti sur laquelle on avait toujours glissé, une part bien plus mélancolique, noire, sarcastique, à la fois sombre et drôle, éminemment moderne.
L'Art d'édifier, achevé pour l'essentiel en 1452, est le premier traité qui théorise l'architecture depuis celui de Vitruve (seul traité antique qui nous ait été conservé). Alberti reprend donc la parole sur cette question après un silence de plus de 1400 ans.
Dans le texte même, il explique qu'il ne veut pas que l'ouvrage soit illustré. Deux raisons à cela. D'une part, conserver au traité sa dimension intemporelle, valable pour tous les lieux et toutes les époques ; donner au lecteur les moyens de réfléchir et non lui imposer une solution toute faite. D'autre part, plus pratiquement, éviter les erreurs des copistes (l'ouvrage n'existe alors que sous forme manuscrite) qui introduiront nécessairement des modifications dans les images. Alberti exige de son lecteur un travail qui lui fasse comprendre le fonctionnement de l'architecture et non l'application aveugle de modèles.
Si l'ouvrage insiste d'ailleurs beaucoup sur le « dessin », il faut comprendre le mot dans un sens intermédiaire à ceux de « dessin » et « dessein ». La création architecturale est d'abord mentale, et au moment même où l'on pose sur le papier les premiers traits, on reste entièrement dans le cadre d'une opération intellectuelle.
Dans le même ordre d'idées, Alberti insiste sur le fait que la maquette ne doit pas être un bel objet ; elle doit en effet donner l'idée de l'édifice, son fonctionnement, la manière dont les formes s'articulent, et non séduire le commanditaire par de jolies couleurs ou des détails trop fins. Sur cette question, c'est toute la dignité de l'architecture qui est en question : l'architecte ne doit pas être un habile artisan, il doit être en mesure de « penser » l'édifice et de rendre compte de cette conception.
Malgré la recommandation expresse de l'auteur, la tentation était trop grande de considérer le traité comme un simple manuel. Il est vrai qu'Alberti, même si ce n'était pas là la principale raison de son intervention, donnait pour la première fois accès aux fondements théoriques mais aussi aux formes de l'architecture classique ; ce mérite était d'ailleurs à l'époque celui qu'on lui reconnaissait en premier (signe que l'ouvrage n'est pas pris pour ce qu'il est réellement, c'est-à-dire un texte qui voudrait fonder le discours architectural uniquement sur ce que sont les hommes et le monde, indépendamment des époques et des lieux).
Dès les années 1515-20, par exemple, on prépare une édition illustrée du traité ; vers 1538, Damiano Pieti confectionne un manuscrit illustré ; une traduction en italien inédite de la BNF contient elle aussi des illustrations. Mais c'est véritablement en 1550 que l'histoire du "De re aedificatoria" change : Cosimo Bartoli traduit en effet le traité en italien, et ajoute plusieurs dizaines d'illustrations qui ne correspondent souvent pas aux indications albertiennes. Or, le texte italien illustré, avec son titre fautif (L'Architettura) va se substituer pendant plus de quatre siècles au texte latin original. Les illustrations de Bartoli seront reprises dans la traduction française de Jean Martin (1553), puis améliorées par Bernard Picart dans l'édition anglaise de 1726. Il faudra finalement attendre 1966 pour relire le texte latin, et 2004 pour ne plus voir les illustrations de Bartoli et de ses successeurs
A l'inverse de ce qu'indique une note en tête du manuscrit parisien du "De pictura" (ajoutée certainement au début du XVIe siècle) Alberti a écrit le texte d'abord en italien, en 1435. Il l'a ensuite amélioré et traduit en latin au début des années 1440. Le 17 juillet 1436, alors que la coupole du Duomo était en train d'être complétée, l'auteur décide de dédier son texte à Brunelleschi ; pour une raison qu'on ignore, il semble que l'ouvrage ait été très mal accueilli par les peintres, à qui il était pourtant explicitement destiné. La version latine, en revanche, a été très bien reçue, surtout hors de Florence.
Le texte n'est pas seulement la première théorisation écrite de la perspective (ce qui fait de lui le fondement théorique incontournable d'une véritable révolution de la culture visuelle et picturale) ; il décrit aussi les principes de ce que sera la peinture de cette époque. Enfin, il servira aussi de point de départ aux réflexions de Piero della Francesca, de Léonard de Vinci ou de Dürer.
La première édition date de 1540, plus d'un siècle après la rédaction. Les premières illustrations (au reste peu éclairantes) datent de 1651 et sont ensuite reprises par toutes les éditions ultérieures.
Dans le premier livre du "De pictura", Alberti décrivait un procédé permettant de tracer un dallage selon un principe perspectif rigoureux. D'une manière analogue, dans le "De statua" (rédigé vers 1450), il décrit une technique pour reproduire fidèlement un corps en trois dimensions. L'idée consiste à déterminer pour chaque point trois coordonnées : on pose un plan sur le sommet du corps, on établit quel est l'angle, la distance par rapport au point central et la hauteur par rapport au plan. Le corps peut ainsi être reproduit, éventuellement en changeant d'échelle selon un principe décrit aussi par Alberti.
L'auteur ajoute enfin une table des proportions idéales d'un homme adulte : des experts ont sélectionné des corps considérés comme beaux ; on fait ensuite la moyenne des mesures en éliminant les extrêmes pour obtenir une beauté proche de l'idéal. Cette manière de tenter d'obtenir une certitude sur des questions esthétiques est typiquement albertienne.
Comme le démontrent les traités artistiques, Alberti est aussi un mathématicien et un ingénieur. Dans les "Mathématiques divertissantes", il expose une série d'applications pratiques de la géométrie ; l'une des techniques présentées permet d'ailleurs de dresser le plan d'une ville. Or, dans la "Description de la ville de Rome", l'auteur explique comment redessiner la carte qu'il a lui-même établie grâce à un système de mesures visuelles. Le traité "Du chiffre" explique comment décoder un texte crypté et inversement, comment coder un texte de manière indéchiffrable. Dans les “Trivia“, Alberti démontre que l'on peut produire à volonté des arguments sur des sujets politiques. L'intérêt pour le texte et les lettres se manifeste aussi par la rédaction d'une Grammaire de la langue toscane, dans laquelle l'auteur propose un classement des lettres en fonction de leur forme. Enfin, Alberti a aussi écrit des traités concernant “Le droit“ et “Le cheval vivant“.
Dans tous les cas, Alberti s'efforce de trouver un angle nouveau, souvent mathématique, pour aborder une question ou solutionner un problème, et à chaque fois, il ouvre des voies nouvelles. L'utilisation du cercle dans le “De statua“, les “Ludi“, la “Descriptio“, les “Trivia“, le “De cifris“, par exemple, est particulièrement frappante, de même que la tentative de rationaliser la forme des lettres. Il importe d'ailleurs de noter qu'Alberti est au moins autant un ingénieur qu'un écrivain, un philosophe et un architecte. La diversité de ses centres d'intérêt et la richesse de ses contributions vont permettre de faire, plus tard, de lui le modèle de l'homme universel (idée chère aux romantiques).
La quasi-totalité de la production littéraire d'Alberti en italien est constituée de dialogues sur des thématiques socio-politiques ou morales, écrits alors que l'auteur est trentenaire, puis lorsqu'il a environ soixante ans.
On a affaire, dans la première période, à une action militante visant à promouvoir la langue parlée par tous sur des questions habituellement traitées en latin : les quatre "Livres de la famille" sont peut-être le chef-d'oeuvre d'Alberti par leur ton simple, la hauteur de leur inspiration, leur capacité à faire dialoguer véritablement les interlocuteurs. C'est là qu'on trouve quelques-unes des formules albertiennes les plus fortes : «Celui-là seul est sans vertu qui n'est veut pas» ; «La fortune ne soumet que ceux qui se soumettent à elle». Le "De pictura" en italien, la "Grammaire" ou l'organisation d'un concours de poésie italienne, en 1441, entrent dans la même perspective : favoriser l'usage de l'italien dans tous les domaines de la culture.
L'échec de son action incite toutefois Alberti à quitter Florence et à ne plus écrire qu'en latin. La reprise des contacts avec sa famille et sa ville, vers 1462, le ramène vers l'italien pour ses derniers travaux.
En dehors des traités, la production en latin d'Alberti est très diverse, mais elle comprend avant tout un ensemble de textes que l'on peut regrouper sous l'appellation « ludi » (divertissements). Ces ouvrages, généralement placés sous le signe de l'ambiguïté, du double sens, de la noirceur et d'une ironie mordante, sont certainement les plus drôles et les plus modernes d'Alberti.
L'auteur profite de la liberté que lui donnent à la fois la langue latine et les genres pratiqués pour livrer une vision du monde dénuée du toute illusion. Dans les courts apologues privés de morale comme dans le roman du Momus, toutes les croyances sont annihilées ; les "Propos de table" comme l'autobiographie (à la troisième personne) ou l'éloge de son chien permettent à Alberti de rendre compte de sa vie d'une façon aussi drôle qu'amère, et de ridiculiser, comme dans l'ensemble de cette production, la curie romaine aussi bien que les humanistes florentins.
Entre les années 1420 et 1450, Giovanni Rucellai avait acheté les maisons voisines de la sienne ; c'est vraisemblablement dans les années 1450 qu'Alberti dessine une façade ayant pour but d'unifier l'ensemble. Il était nécessaire de respecter l'alignement des édifices de la Via della Vigna. Dès lors, la façade du Palazzo Rucellai est avant tout un mince rideau de pierre posé sur un assemblage de divers bâtiments. L'ensemble comprenait probablement à l'origine seulement cinq travées, mais le fait que les angles ne fassent pas l'objet d'une scansion particulière permettait aussi au système d'être développé vers la droite ; deux travées sont donc ajoutées (ainsi qu'un second portail) et une troisième esquissée mais non achevée.
Le palazzo Rucellai est le premier exemple d'application de piliers superposés sur la façade d'un palais (il est plus prudent de ne pas utiliser encore le mot « ordres »). On y retrouve à la fois des éléments antiquisants et quelques éléments florentins traditionnels comme ceux que l'on observe sur la façade du palais des Médicis (construit à peu près à la même époque). C'est d'ailleurs ce palais qui sera imité, dans un premier temps, à Florence (Palazzo Strozzi ou Palazzo Pitti, par exemple), même si le modèle proposé par Alberti finira par triompher universellement.
Le modèle le plus évident du Palazzo Rucellai paraît être le Colisée, avec sa superposition de quatre ordres. Il importe de noter toutefois que, dans le cas du palais des Rucellai, les piliers ne sont pas distincts du reste de la façade ; ils sont au contraire sculptés dans le bossage. Si le recours à ce bossage de même que la forme générale des fenêtres sont plutôt des éléments typiquement florentins, d'autres éléments sont plus classiques : les portes rectangulaires, avec leurs délicates consoles, la plinthe de l'édifice (qui fait penser à l'opus reticulatum romain), les entablements qui partagent en trois l'élévation et enfin la corniche supérieure, sans parler, naturellement, des piliers.
Mais ces éléments classiques eux-mêmes sont souvent tempérés : on trouve ainsi dans les entablements non pas les décorations antiques mais les symboles des Rucellai (en particulier une voile gonflée). L'ensemble donne finalement une impression ; extrêmement nouvelle ; de classicisme, mais d'un classicisme adapté à la réalité locale florentine. Or, il s'agit d'une manière de faire typiquement albertienne.
La loggia Rucellai est à la fois un type de construction typiquement florentin et, parmi les cinq édifices albertiens de la ville, celui qui a l'allure la plus antique. Les grandes familles faisaient construire des « galeries » à proximité de leur palais afin d'investir l'espace public, surtout à l'occasion de grandes fêtes familiales ou citadines. La loggia des Rucellai était sans doute terminée ou presque quand le fils de Giovanni épouse une soeur de Laurent le Magnifique, en 1466.
La loggia s'écarte des règles classiques sur plusieurs points. D'une part, comme l'indique Alberti lui-même dans son traité, un entablement devrait être porté par des colonnes et un arc par des piliers ; ce qui n'est pas le cas ici.
D'autre part, on note une hésitation chez le maître d'oeuvre : seule la partie droite de l'arc de droite est traitée selon la logique classique, c'est-à-dire comme un entablement recourbé ; pour le reste, l'erreur qui consiste à « plier » l'arc à angle droit (qu'on trouve aussi dans des édifices posthumes de Brunelleschi comme l'Hôpital des Innocents) est répétée cinq fois.
On trouve enfin, aux quatre angles intérieurs de la loggia, un petit arc d'allure peu classique ainsi que la quasi-superposition d'un arc plein-cintre et d'un arc surbaissé.
A Santa Maria Novella, Alberti devait trouver une solution nouvelle pour placer une façade devant une nef avec bas-côtés, en intégrant aussi bien le grand oculus que six arches et deux portails latéraux gothiques. Il décide donc d'étendre à toute la surface la décoration en marbres blancs et verts, et place, entre la partie basse partiellement construite et la partie haute à inventer, un large bandeau qui atténue le fait que certaines colonnes seulement sont alignées. Par ailleurs, des colonnes et des piliers portant un entablement approfondissent la partie basse de la façade. Le haut est ensuite traité comme un temple d'allure classique, avec quatre piliers et un fronton triangulaire. C'est néanmoins l'impression d'unité, voire d'unification qui domine.
La plus grande trouvaille de l'architecte consiste à ménager une transition entre la zone inférieure, plus large, et la zone supérieure, plus étroite, sous la forme de deux volutes, ou consoles, latérales. L'ensemble constitué par une façade à deux étages avec fronton et ailerons latéraux sera ensuite universellement imité.
La façade s'inscrit dans un carré, dont le centre se situe au point le plus bas de l'oculus ; ce qui est rendu possible par un léger élargissement. En haut, la façade dépasse largement la hauteur de la nef. La partie supérieure s'inscrit elle-même dans un carré, qui correspond au quart du carré d'ensemble ; de même, les volutes s'inscrivent dans un carré qui correspond un quart du carré supérieur.
En montant, le regard part des neuf arcs de la partie inférieure et arrive, en passant par les trois ronds de l'oculus et des deux volutes, à l'unité manifestée par le fronton encadrant un soleil, ce qui pouvait avoir une portée symbolique.
Le rond de l'oculus est rappelé dans les quatre directions : dans la décoration en marbre du fronton et des deux volutes, et dans l'arc du portail principal. La construction de la façade sur la base d'une combinaison de formes géométriques simples, de même que le respect des parties anciennes construites et l'harmonisation du style local et du style classique sont des marques de fabrique typiquement albertiennes.
L'ensemble élaboré par Alberti se compose de deux éléments parfaitement intégrés l'un à l'autre. D'une part, l'écrin, c'est-à-dire la chapelle, autrefois ouverte sur l'église de San Pancrazio; ses lignes sont très sobres et élégantes ; l'association de murs blancs et d'éléments structurants en pierre grise («pietra serena») est d'un style proche de celui de Brunelleschi, de même que certains détails comme le dessin en forme de cannelures torses de la frise.
D'autre part, le bijou, c'est-à-dire le tombeau lui-même, fait à l'imitation du Saint-Sépulcre de Jérusalem, et qui s'inspire, comme la façade de S. Maria Novella, du style roman local ; on peut d'ailleurs supposer que le maître d'oeuvres des deux édifices était Giovanni di Bertino, responsable, dans les deux cas, des détails de la décoration en marbres blancs et verts. On retrouve dans la chapelle non seulement cette décoration mais aussi les caractères lapidaires classiques dont Alberti recommande l'emploi. On suppose que les deux éléments de la Cappella Rucellai ont été réalisés dans les années 1460, probablement du vivant d'Alberti.
Il semble que l'architecte Michelozzo avait entrepris de placer au bout de la nef de l'église de la Santissima Annunziata une rotonde comprenant sept chapelles, ayant pour fonction d'accueillir le choeur des moines. L'idée d'associer plan longitudinal et plan centré était très originale, mais le problème de la couverture de cet espace se posait avec une grande acuité.
Ludovico Gonzaga décide finalement de prendre en charge le financement des travaux, et, probablement en 1469, le projet original est modifié par Alberti. Ce dernier décide d'ajouter, côté nef, deux chapelles (légèrement plus petites) qui complètent la rotonde, quitte à en accentuer l'autonomie par rapport au reste de l'église, mais, par là même, autoriser la couverture par une coupole de 23,40 mètres de diamètre. Ce dispositif séparant le choeur des moines du reste de l'église reçut des critiques si vives que le marquis dut, pour défendre son architecte, menacer de se retirer de l'affaire. Plus tard, Vasari critiquera le fait qu'une illusion d'optique donne l'impression que l'arc des chapelles tombe vers l'arrière. Au XVIIe siècle, des décorations baroques vont être ajoutées qui contribuent à dissimuler les lignes du projet albertien.
En 1447, Sigismondo Malatesta décide de transformer la modeste église de San Francesco en mausolée à sa gloire. Il confie les travaux à Matteo de' Pasti et Agostino di Duccio, qui reconstruisent alors plusieurs chapelles, en un style hybride entre gothique et classique. Comme le démontre sa fameuse lettre à De' Pasti du 18 novembre 1454, Alberti n'intervient dans cette affaire qu'en 1453 ou 1454. Son projet est de ne pas toucher à ce qui existe, mais de recouvrir l'ancienne église d'une enveloppe de style classique. Les travaux ; présentés dans une magnifique miniature de Basinio da Parma ; démarrent probablement très vite, mais ils sont interrompus au bout de quelques années, laissant l'oeuvre inachevée.
La manière dont devait se terminer la façade est une question ouverte. On dispose de deux documents : une médaille de 4 cm présentant le projet vu de face (notons que les parties construites correspondent avec exactitude à ce qu'on y voit) et la lettre à De' Pasti. La médaille est la seule indication dont on dispose pour savoir comment devait se terminer la partie haute.
En revanche, les deux documents se contredisent sur la question des ailerons de la façade : deux moitiés d'un fronton recourbé, comme l'indique la médaille, ou bien deux volutes, comme l'indique le dessin de la main d'Alberti. Dans les deux cas, l'idée est radicalement originale et sera imitée sans fin dans les façades classiques.
Pour le reste, la question essentielle est de savoir comment était conçu le choeur et sur quoi devait reposer l'imposante coupole présentée sur la médaille. La solution la plus évidente semble être celle qui associerait une rotonde et une nef (avec chapelles latérales), comme dans le cas ; plus tardif de l'église de l'Annonciade. Il s'agirait alors d'une sorte d'imitation du Panthéon.
Mais des restes de fondations semblent faire penser que l'idée était plutôt de construire un transept avec des bras très courts (qui correspondent peut-être à ce que sera le projet de Sant'Andrea). Quoiqu'il en soit, dans les deux cas, on a affaire à l'association d'un plan longitudinal et d'un plan centré.
En ce qui concerne les parties construites, elles manifestent toute la grandeur d'inspiration de leur auteur. La façade est d'ailleurs la première façade construite de la Renaissance, et la première aussi qui ressuscite sans aucun modèle ; la grandeur antique. Le principe semble avoir été celui d'associer la forme d'un arc de triomphe, en façade, et celle d'un aqueduc, sur les côtés.
Toute la difficulté, pour l'architecte, consistait à trouver, pour ces arcades latérales, un rythme qui évite de boucher certaines des fenêtres gothiques, percées de manière aléatoire. Alberti place ensuite dans ces arcades des sarcophages (il tire peut-être cette idée des tombeaux de S. Maria Novella), qui ennoblissent tout l'édifice. Le tout fait de cette église l'« un des temples les plus fameux de toute l'Italie » (Vasari).
Parce qu'elle a été ignorée par Vasari, l'église San Sebastiano est sans doute l'édifice le moins connu d'Alberti ; mais c'est sans doute aussi son oeuvre la plus originale et fascinante. On dit d'ailleurs qu'il s'agirait de la première église à plan centré construite à la Renaisssance. La chronologie du chantier n'est pas bien connue, même s'il est probable que l'essentiel est construit dans les années 1460. Les travaux se sont toutefois poursuivis ensuite, les escaliers de la façade datant, par exemple, de 1923.
On dispose néanmoins de deux dessins du début du XVIe siècle (de Labacco et Sangallo) qui décrivent certainement le projet originel. Dans cette première version, rien ne semble montrer qu'il existe une église inférieure. Il est probable que cet élément a été ajouté dans un second temps, soit pour des raisons cultuelles, soit pour trouver une solution au problème de l'eau (la zone était alors semi-marécageuse).
De même que le Tempio malatestiano pourrait être basé sur l'association des formes de l'arc de triomphe et de l'aqueduc, San Sebastiano semble superposer les volumes d'une citerne romaine et d'un espace thermal. L'église inférieure se présente en effet sous la forme d'un réseau de piliers presque labyrinthique, alors que l'église supérieure est totalement ouverte, et même grandiose par ses dimensions. L'idée était probablement d'obtenir un contraste entre les deux parties. Séroux d'Agincourt, qui visite Mantoue à la fin du XVIIIe siècle, précise d'ailleurs qu'il faut alors passer par l'église inférieure pour accéder à l'église supérieure.
Si certaines parties de l'édifice posent des difficultés (le dessin de Labacco indique ainsi qu'une coupole devait être construite), on est sûr au moins que le plan est entièrement conforme à la volonté de l'architecte. Il s'agit donc d'une église à plan centré, avec trois côtés pourvus d'absides et un quatrième précédé d'un portique. Or, c'est là une nouveauté fondamentale, dont Labacco perçoit bien l'originalité lorsqu'il copie le plan cinquante ans après sa conception.
La façade est elle aussi très intéressante car elle indique bien à quel point Alberti ne doit pas être lu à la lumière de normes classiques qui ne se cristalliseront qu'à la fin du XVe siècle, voire au début du XVIe. Wittkower a ainsi voulu « corriger » et classiciser la façade en supposant qu'elle prévoyait six piliers, mais aucun élément n'est jamais venu corroborer cette thèse. Au contraire, le plan de Labacco indique que les deux portes latérales n'existaient pas - ce qui fait perdre toute raison d'être aux six piliers. Le fait que le fronton soit coupé, dans sa partie basse, par une fenêtre surmontée d'un arc va exactement dans le même sens : Alberti opère librement, sans se référer à des normes qui ne prendront toute leur place que plus tard, peut-être à la suite de son oeuvre.
Le culte de la relique du « Très précieux sang du Christ » ayant pris de l'importance, Ludovic Gonzague décide de faire reconstruire l'église Sant'Andrea. Un premier projet est présenté au marquis, mais Alberti, en 1470, propose un projet alternatif : selon lui, son église « sera plus vaste, plus durable, plus digne et plus réussie ; elle coûtera beaucoup moins cher. » Quelques semaines avant la mort de l'architecte, les travaux de démolition partielle de l'ancien édifice commencent.
Dans les vingt années qui suivent, il est probable que le plan est respecté. On suppose que, plus tard, des modifications sont introduites : les fenêtres des six grandes chapelles latérales sont partiellement bouchées ; un transept est construit ; au XVIIIe siècle, la croisée est couverte par une grande coupole due à Juvara et le sol est égalisé, puis, des décorations sont ajoutées, alors que les briques étaient jusque là encore visibles (comme dans S. Sebastiano).
L'éclairage comme l'apparence de l'édifice sont donc sensiblement modifiés par rapport au projet d'origine. Alors que c'est la forme de l'édifice albertien qui avait inspiré Vignola pour la conception de l'église du Gesù (qui deviendra le modèle de toute les églises jésuites), on modifie le monument au point de lui donner précisément l'apparence d'une église jésuite.
En fait, des détails, comme le positionnement des petites fenêtres dans les escaliers des quatre grandes piles qui encadrent la croisée, permettent de penser que l'idée d'Alberti était de placer au bout de la nef un choeur à plan centré, un peu comparable à S. Sebastiano ; le tout devait être couvert par une coupole sans fenêtres ; le modèle étant une fois de plus le Panthéon de Rome. Dans le cas du porche, il est possible qu'Alberti se soit inspiré du seul édifice construit à son époque et qui comportait un avant-corps au moins partiellement du même type, c'est-à-dire la Chapelle des Pazzi, de Brunelleschi.
La façade pose essentiellement deux problèmes : celui du clocher en style gothique et celui du baldaquin qui surplombe le porche. Les deux éléments peuvent en effet être perçus, selon une logique peut-être trop classique, comme des aberrations. Dans le cas du clocher, il importe de souligner qu'Alberti est toujours soucieux de respecter les monuments anciens (il l'a fait à S. Maria Novella comme à Rimini) ; mais on ne peut pas exclure non plus un principe d'économie : le clocher serait alors détruit et reconstruit uniquement à la fin des travaux.
Quant à ce qu'on appelle à Mantoue l'ombrellone, il est presque certain qu'il était lié au culte de la relique (on peut imaginer qu'elle y était présentée à l'occasion de fêtes particulières). On a toutefois des raisons de penser que, en retrait par rapport à la façade du porche (proportionnée à la taille de la place), une seconde façade, plus large et peut-être plus dépouillée, devait encadrer le baldaquin.
Si l'on se limite aux parties construites les plus fiables, on doit souligner quatre idées fortes. La reprise de la forme de l'arc de triomphe en façade (cette fois-ci avec trois étages sur les côtés). L'adéquation entre organisation de la façade et organisation de la nef, avec alternance de grandes chapelles, qui correspondent au centre de l'arc, et de petites chapelles, qui correspondent aux côtés ; cette manière de concevoir une forme qui puisse se suffire à soi-même mais qui puisse aussi être prolongée correspond d'ailleurs étroitement à ce qu'Alberti avait fait avec le Palazzo Rucellai. La conception, enfin, d'un vaste espace couvert d'une voûte qui renoue avec la grandeur monumentales des thermes antiques.
Sant'Andrea ne peut dès lors être perçu que comme une somme de l'oeuvre architecturale albertienne. Cette manière de reprendre des éléments romains pour tenter, par des voies originales, d'obtenir un résultat étroitement lié au temps, au lieu, à la fonction, mais digne des Anciens est d'ailleurs la marque de fabrique de la totalité de l'oeuvre d'Alberti, ce qui fait de lui la clé de son siècle et de toute la Renaissance.
Il est certain que l'influence d'Alberti en tant qu'architecte a largement dépassé le cadre des bâtiments évoqués jusqu'ici. On a donc tenté de lui attribuer d'autres monuments. Certaines propositions ne recueillent presque plus d'adhésions dans la critique, en particulier les grands travaux d'urbanisme du pape Nicolas V (trop d'allusions du Momus condamnent ces projets pontificaux).
D'autres possèdent quelque consistance. C'est le cas du clocher de la cathédrale de Ferrare, de la Loggia della Benedizione et du Palazzo Venezia (en particulier la cour et le vestibule), à Rome, et du Palazzo ducale d'Urbino (surtout la Loggia dei Torricini). En ce qui concerne Pienza, le bourg natal de Pie II, il est certain à la fois que le Palazzo Piccolomini s'inspire très nettement du Palazzo Rucellai et que le positionnement du palais face au paysage correspond à une approche fondamentalement albertienne, qui fait du paysage un des éléments de la décoration d'une ville ou d'un édifice, mais on n'a aucune certitude sur ce point.
Quelques monuments, autrefois cités, sont à nouveau rapprochés d'Alberti sur des bases théoriques ou stylistiques comme, par exemple, l'arc de triomphe de Naples ou la Villa Médicis de Fiesole ; dans ces cas, seuls sont avérés des contacts avec la ville (Alberti est en Campanie en août 1465) ou le propriétaire (on possède une lettre écrite par l'humaniste à Giovanni de' Medici).
- L'Art d'édifier, par Pierre Caye et Françoise Choay, Paris, Le Seuil, 2004.
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