Les villas balnéaires des Petites Dalles

par Patrick Lebourgeois et Pierre Wallon

La Chapelle - Mercredi 25 juillet 2007 à 18h

Deuxième partie

Architecture des villas balnéaires des Petites Dalles

 

Patrick Lebourgeois

 

Implantation / plan de situation

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Triple souci :

Un paramètre :

  • la mer (on la recherche)
  • le soleil (on s'en protége)
  • le vent (on s'en abrite)
  • maisons de villégiature familiale, résidence secondaire

Contrairement aux longères de pêcheurs, les villas font face à la mer ou à la rue.

(Lorsque leur façade donne sur la rue, de larges ouvertures sont pratiquées dans le mur côté mer).

Isolées ou jumelées, les villas balnéaires cauchoises sont surtout situées dans les valleuses ou dans les vallées des fleuves côtiers.

Aux Petites-Dalles, on les trouve en front de mer, sur la falaise, le long de la rue conduisant à la mer, le long des chemins de traverse ou à flanc de coteau (davantage sur le versant Sassetot que sur le versant Saint-Martin-aux-Buneaux, pour se protéger des vents dominants).

Ces maisons sont de type pavillon avec étage(s) (contrairement à la longère de plain pied mais comme la maison de patron-pêcheur).

Plan de masse

On profite de la pente du coteau pour construire sur cave (une «hérésie» en Pays de Caux !)  ou vide sanitaire. Le plancher du rez-de-chaussée est alors constitué de voûtins en brique et poutrelle acier type IPN (profilé en I) - sujet à la rouille.

Cette élévation entraîne la construction d'un perron (escalier extérieur avec marches droites ou tournantes), là encore en rupture avec la longère.

Il y a souvent deux entrées :

-entrée principale (côté rue)

-entrée secondaire (côté jardin / mer)

 

Détail des pièces :

Ce qui frappe au premier coup d'oeil, c'est qu'on a affaire à des petites pièces.

Sur le plan de la villa Colin :

-salle à manger (4x5,5m)

-salon (3x3,5m)

-cuisine (4x2,5m)

-office (3x1m)*

*partie d'une maison où l'on dispose tout ce qui dépend du service de table

-chambres des maîtres au Nord (pour éviter le soleil)

-chambres des employés au Sud

-chambres de bonnes sous les toits

La construction de ces villas est relativement rapide (elle débute au printemps pour s'achever à l'automne*). On peut avancer plusieurs explications : architecte maître d'oeuvre, matériaux industriels - brique rouge, poutrelles acier, mortiers, etc. - et main d'oeuvre nombreuse et bon marché.

* Voici par exemple les principales dates de la construction de la villa "Les Mouettes", celle-la même que Bernard Triponel vient d'acheter.

  • 27 mars 1884 : pose de la première pierre
  • 8 juillet 1884 : pose des sablières
  • 5 septembre 1884 : début de la couverture
  • 24 octobre 1884 : les plâtres se terminent
  • 26 novembre 1884 : pose des fenêtres
  • 28 novembre 1884 : plantation du jardin

Pour le chalet Peltier (Les Catelets), ce sera de-même, début des travaux aux premiers jours du printemps 1885 et fin à l'automne de la même année. Mon ancêtre, pour cette dernière maison, précise que l'équipe de maçons est picarde.

Pierre Wallon

À l'intérieur, le bois est omniprésent :

plafond à caissons du 1er étage

planchers des 1er et 2ème étages

lambris de la salle et du salon

escalier central

plinthe stylobate* (marque du 19ème siècle)

* moulurée

en pitchpin et sapin

solives utilisées pendant la guerre par les Allemands pour faire des pieux anti-parachute dans la plaine.

Le sol du rez-de-chaussée, reposant sur le plancher à voûtin, est recouvert d'un pavage (carreaux rouges de Beauvais ou de Villequier, carreaux 4 pièces de Maubeuge, etc.).

Eléments de confort

-évier ou «dalle» pour l'évacuation des eaux usées (cf. plan de 1881).

On n'a plus besoin de sortir...

-water closet (sous l'escalier ou pièce indépendante) avec fosse sceptique (cf. plan de 1881).

On n'a plus besoin de sortir...

Avant :

  • puits à marée (pour l'eau potable), avec un système complexe de servitudes entre les propriétés (barrières...)
  • citerne, pompe «Japy» (pour la toilette, la cuisine, le linge)
  • table de toilette, broc et cuvette

-TSF, TV (1970)

-assainissement collectif (2000)

-téléphone cellulaire (encore des problèmes de couverture du réseau !)

Des constructions au goût du jour

D'architecture ostentatoire, ces constructions massives aux volumes complexes abritent des familles d'estivants dont les plus anciennes remontent au milieu du 19e siècle. Ces habitations sont associées ou non à des installations annexes : kiosques, pavillons de jardin,

garages et courts de tennis

La villa balnéaire trouve ses origines dans les engouements architecturaux, très éclectiques et pleins de fantaisie du 19e siècle. En effet, à cette époque, l'éclectisme - courant d'architecture qui érige la copie en style - est remis à l'honneur. Pour Camille Albert, architecte de La Bénédictine, l'éclectisme «était bien plus rêverie d'un passé renommé qu'annonciateur d'un avenir incertain». [O.Dufossé, Hommage à Camille Albert]

L'influence coloniale et le goût pour l'exotisme sont omniprésents. De même, on trouve ici une déclinaison provinciale des courants architecturaux présentés lors d'expositions universelles, comme celle de 1878. Villas anglo-normandes, castels, chalets italiens et autres curiosités à la façon mauresque, médiévale ou orientale sont ainsi édifiés tout au long du littoral cauchois.

Les noms des villas témoignent de ces influences. Si les premiers sont éponymes (chalet Peltier, Wallon, Renard, Crosnier, Bayard ; villa Elizabeth, Petit, Colin, Yvonne, etc.), ils empruntent ensuite au règne végétal (Les Tamaris, Les Capucines, L'Erable, Les Myrtilles, Les Lierres, Les Frênes, Les Marronniers, Les Prés, Les Tamaris, Les Bambous, Les Chrysanthèmes, Les Sorbiers, etc.) et animal (Les Mouettes, Les Hirondelles, La Renardière, etc.). Certains s'inspirent de la construction (Les Tourelles, Les Lampottes, etc.), d'autres de la mer (Les Embruns, La Caloge, Les Mouettes, etc.).

Un style jubilatoire

À l'extérieur aussi, l'omniprésence du bois saute tout de suite aux yeux. C'est l'élément commun aux villas balnéaires du 19è siècle. S'il habille les murs de granit à La Baule, de brique à Deauville, le bois souligne l'appareillage de brique et silex en Pays de Caux. D'importants débords de charpente ouvragée protègent les pignons exposés au vent. Ils sont ornés de lambrequins*.

*lambrequin : ornement découpé en bois ou en tôle, placé devant un chéneau ou en rive

Les galbes* sont parfois terminés par des pinacles.

*galbe : pièce de charpente. C'est la réunion à leur sommet de deux pièces de bois inclinées comme un homme qui a les jambes arquées.

 

Lambrequins

Galbes

Les baies et les bow-windows aux décrochements multiples permettent aux pièces d'agrément de bénéficier de larges ouvertures vers le front de mer. Les portes d'entrée, accessibles depuis un perron, sont habillées d'un ouvrage en métal (marquise) ou en bois (auvent).

 

Entrée du chalet Peltier

Des loggias caractérisent également ces chefs-d'oeuvre d'architecture et de menuiserie. Il y a quelques balcons en fonte et grilles en fer forgé mais on ne peut pas dire que ce soit une caractéristique locale bien marquée.

Grille des Sorbiers

Les balcons à trame régulière, les enrouleurs de jalousie ou les frises sont peints aujourd'hui le plus souvent en blanc. Depuis peu, on voit même apparaître le rouge basque qui sied plutôt bien à nos valleuses.

À l'origine, chaque villa balnéaire arborait ses propres teintes, comme une marque de fabrique ou les couleurs d'une famille. Outre la maison et ses dépendances, le matériel de la villa - la cabine (propriété de la villa), la périssoire (embarcation longue et étroite qui se manoeuvre à la pagaie), etc. - était peint de la même couleur. Les teintes rappelant la mer (bleu, vert, gris) mais aussi le bois naturel (brun) étaient fort répandus.

La plage en 1883

Les toits à forte pentes et longs rampants sont très ouvragés. L'ardoise naturelle est majoritairement employée (associée à l'arrivée du chemin de fer à Fécamp en 1856), même si quelques tuiles de Varengeville apparaissent çà et là (villa Colin jusqu'en 2006). Sur les tourelles et clochetons, on remarque la ligne de déchange, sorte de frise d'ardoise. Les toits en terrasse sont nombreux, notamment dans les tours, folies et belvédères. Les souches de cheminées sont en brique surmontées de mitres en terre cuite, parfois vernissées comme à la villa «Les Lampottes».

Des ancres de construction souvent très élaborées - et même éponymes - terminent les tirants fixés sur la charpente. Sur le chalet Peltier, les ancres des cheminées sont terminées par des queues de cochon, ce qui laisse à penser qu'il s'agit de la signature du ferronnier Marou, artiste qui signa la fontaine de la Bénédictine de Fécamp.

Des faîtières en zinc ou en bois avec épis de faîtage couronnent le toit d'un magnifique feston.

Chalet Peltier

Fontaine de la Bénédectine

Chalet Peltier

Des emprunts mutuels.

Enduit en béton lavé

L'appareillage de brique et silex, le galandage (cloison de brique posée de chant), les faux pans de bois (à l'étage) ou l'enduit en béton lavé 22bis sont les principaux modes de construction utilisés pour le parement des murs. Les appareils de brique et silex soulignent par des jeux de modénature (galbe d'une corniche) les angles des murs et le pourtour des ouvertures comme on l'observe déjà sur certaines maisons de marins plus anciennes.

Harmonie des formes et des couleurs

La polychromie liée au minéral - brique de terre (orangée, rouge), brique de sable ou de vase ( jaune, blanche), silex (blanc, noir, blond), grès, moellon de tuf (blanc) - est rehaussée par les taches colorées des éléments secondaires (portes, volets, fenêtres).

Les jeux d'ombres et de lumière sont accentués par le calepinage (travail en relief de la brique). Ainsi, corbeaux, corniches et larmiers maçonnés à plat ou en dents de scie déterminent des angles aux multiples éclairages. Les assises alternées de brique et silex, les chaînes harpées de pierre ou de brique et le damier de silex noir et blanc permettent de décliner les combinaisons à l'infini.

Les joints:

Joints découpés

Joints à l'anglaise

Joints en mosaïque

Les briques :

Les briqueteries :

Les frises :

  • Carreaux de faïence de Fécamp rappelant les maisons d'armateurs

Murets, piliers, barrières et balustrades s'inscrivent dans la continuité de la villa. Réalisés le plus souvent à partir des mêmes matériaux de construction que l'habitation, ils constituent un élément architectural important.

Dans les valleuses, de nombreux murs étant à flanc de coteau, on remarque des barbacanes (ouvertures laissées au mur d'une terrasse en forme de meurtrière pour assurer l'écoulement des eaux).

Les portails (couverts ou non) sont munis de chasse-roues ou bouteroues en pierre ou en fonte.

Barbacanes

Chasse-roues

Parfois, ces détails périphériques ne sont que l'évolution de ce qui existait déjà dans les premières maisons de pêcheurs...

Ainsi, la villa balnéaire cauchoise, née de l'emploi de matériaux indigènes dans une architecture exotique, est bien la preuve que des emprunts mutuels peuvent contribuer à forger une identité régionale forte.

Patrick Lebourgeois