Cent ans d’inventivité chorégraphique

par Anne-Marie Sandrini

(Conférence donnée le mercredi 2 septembre 2009 à la salle des 2 Chênes à Sassetot-le-Mauconduit - Conférences SAS'D.I.T.)



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Pour préparer cette rencontre, je me suis trouvée dans la terrible position de faire des choix. Affreux dilemme, choisir c’est abandonner quelque chose. C’est se trouver devant une boite de chocolat et en choisir un, c’est trop difficile alors on en mange un autre et puis un autre et encore un autre.
1909, 2009, c’est tellement riche, que prendre ? Et que laisser ? Tout prendre et ne rien laisser, mais c’est trop. Finir la boite de chocolat n’est pas une solution.
Courageusement, petit à petit j’ai laissé sur le bord du chemin des événements et des personnes pour vous raconter en empruntant d’énormes raccourcis un siècle de création chorégraphique.

Que se passe-t-il en 1909 ?

En ce début de XXe siècle, c’est à Paris que l’effervescence artistique est la plus grande. Ce siècle s’annonce comme le temps du progrès, des découvertes scientifiques, de la vitesse, de l’expansion coloniale, un mélange excitant qu’on n’avait pas connu depuis la Renaissance. La notion de modernité est placée sous le signe du  mouvement : celui des automobiles, des avions, des images, du cinématographe, celui des corps libérés par la mode, et le sport mis en valeur par la lumière électrique. Dans le domaine de la peinture, c’est la révolution suscitée par les Impressionnistes, puis les Fauvistes (André Derain, Raoul Duffy, Henri Matisse), les Cubistes (Georges Braque, Juan Gris, Pablo Picasso).
La sculpture est représentée par Auguste Rodin, Aristide Maillol, Antoine Bourdelle, Camille Claudel. En littérature Anatole France, Paul Claudel, Jules Verne, Marcel Proust, Paul Valéry, les poètes Guillaume Apollinaire, Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud. Les musiciens Claude Debussy, Maurice Ravel, Gabriel Fauré.
En ce qui concerne l’art chorégraphique, c’est une véritable explosion qui se produit. La prise en compte de l’héritage du passé et sa contestation virulente. Tradition et innovation.

1) Le début de l’année est marqué par le tremblement de terre de Messine qui fait 200 000 morts.

2) Le président Fallières inaugure le 28e Salon des femmes peintres et sculpteurs au Grand Palais « mondanité, niaiserie, snobisme, et ignorance » C’est ce qu’on pouvait lire dans le journal « Gil Blas ».
3) Le métro passe sous la Seine, « la ligne 4 » porte d’Orléans – Clignancourt.
4) Isadora Duncan présente Iphigénie de Gluck.
5) Les boueux sont en grève. Paris est un immense bourbier qu’un froid vif fait verglacer.
6) Claude Monet présente la totalité des Nymphéas.
7) Blériot traverse la Manche, l’Angleterre n’est plus une île.
8) Mistinguett fait ses débuts de comédienne dans «  l’Âne de Buridan ».
9) Inauguration du « Victor Hugo » de Rodin.

10) Les Lillipdiaghilevut sont à Paris. 180 personnes de petite taille de toutes les nationalités s’installent au Jardin d’acclimatation dans un village spécialement construit pour eux.
11) Enfin le mardi 18 mai a lieu la première représentation au théâtre du Chatelet de la saison des Ballets russes organisée par Serge de Diaghilev et Gabriel Astruc. Cette première saison va bouleverser le monde artistique parisien, et se rèpandra dans l’Europe entière.


Isdora Duncan




Serge de Diaghilev

Qui est Serge de Diaghilev ? C’est un homme cultivé, intelligent et clairvoyant, il éblouit les débuts du siècle par la découverte, la sélection et la présentation de talents inconnus. La passion de Diaghilev s’adresse tout d’abord à la peinture. Il organise en 1900 la première exposition d’Impressionnistes français en Russie, puis il se tourne vers la musique et organise des soirées de musique contemporaine pour faire connaître les musiciens français : Ravel, Debussy et Dukas. Il fonde la revue « Le monde de l’Art ». En 1905 il organise à Paris une exposition des peintres et des sculpteurs russes qui connaît un grand succès ce qui lui donne l’idée d’organiser à Paris d’autres événements afin de faire découvrir la Russie à l’Occident. L’année suivante il fait connaître aux Parisienx Moussorgski, Borodine, Rimski-Korsakov, Rachmaninov. Chaque entreprise est une réussite. En 1908 il présente « Boris Godounov »  interprété par le grand Fédor Chaliapine. C’est à la tête de sa compagnie de ballet qu’en mai 1909 son nom atteindra un rayonnement universel. C’est en effet la manifestation concrète de ses idées géniales qui se réalise au cœur de cette compagnie qui va réunir la plus extraordinaire pléiade d’artistes. Peintres, musiciens, chorégraphes et danseurs. Désormais, toute la vie de Diaghilev est liée à l’existence des Ballets russes et, pendant vingt ans, il consacrera toute son activité au rayonnement de son entreprise.



Vaslav Nijinski
Le spectacle d’ouverture se compose entre autres : des danses polovtsiennes du prince Igor de Borodine, et du festin de Rimski-Korsakov. Le chorégraphe attitré est Michel Fokine. Trois extraordinaires décorateurs (ils sont davantage peintres que décorateurs) : Bakst, Benoit et Roerich. Parmi les solistes se trouve Anna Pavlova, Karsavina, Nijinski, Ida Rubinstein. Un danseur entre tous enchante : Vaslav Nijinski, il a 19 ans. On écrit de lui : en quoi est-il fait ? Serait-il creux ? A-t-il un squelette ? Des os ? De 1909 à 1914, Nijinski va faire en partie le succès des Ballets russes aussi bien en tant que danseur que de chorégraphe. 1910 « Le Spectre de la rose » (son grand jeté reste célèbre), « L’Oiseau de feu », en 1911 « Petrouchka » le pantin qui a une âme (son interprétation est bouleversante), 1912 « L’Après-midi d’un faune » en tant que chorégraphe (c’est le premier scandale), en 1913 « Jeu » sur une musique de Claude Debussy et « Le Sacre du printemps » qui sera le plus grand scandale de ce début de siècle, plus de 50 chorégraphes se lanceront dans l’aventure de remonter « Le Sacre » trois seulement resteront inoubliables : celui de Nijinski, celui de Maurice Béjart et celui de Pina Baush (en l’espace de 15 jours, 2 nouvelles œuvres commandées par Diaghilev vont changer le cours de la musique et des ballets).

Le Sacre du Printemps

Succès, scandales, fâcheries vont jalonner ces 5 années. Diaghilev chasse Nijinski en 1914 n’admettant pas son mariage avec une jeune Hongroise Romola Pulszky. La guerre plonge Nijinski dans une angoisse profonde. Il rédige son journal avant de sombrer dans la maladie mentale. Il meurt en 1950. L’une des dernières phrases de son journal est : « J’aimerais danser, dessiner, jouer du piano, faire des vers et à tous prodiguer mon affection : voilà le but de ma vie (.)Mon cœur appartient à l’Univers. Je ne veux pas de guerre ni de frontière. Mon foyer est partout où le monde existe ». Artiste de génie aux multiples facettes. Par un de ses sauts prodigieux dont il avait le secret, il bondit  à travers le temps par la magie de son art et la force de sa personnalité. Nijinski est enterré au cimetière de Montmartre. Nous ne cessons de redécouvrir génération après génération le génie qu’il portait en lui.  


La tombe de Nijinski

A partir de 1916 Michel Fokine n’est plus le chorégraphe principal ; sont associés aux créations : Léonide Massine, Bronislava Nijinska, Serge Lifar et George Balanchine qui intègrent la compagnie en 1924. Diaghilev va associer des artistes français à ses projets de créations : Picasso, André Derain, Matisse, Braque, Coco Chanel, G. Rouault, M. Laurencin, Miro, Eric Satie, Darius Milhaud, Francis Poulenc, G. Auric, H. Sauguet, Jean Cocteau  insufflant ainsi une énergie créative qui raisonne encore de nos jours.

Diaghilev avait une silhouette massive ce qui ne l’empêchait pas d’être élégant. Il portait un monocle à l’œil droit, une fine moustache au dessus de lèvres épaisses, une mèche blanche au milieu d’une chevelure noire lui donna le surnom de « Chinchilla » Il aimait les couleurs orange et marron, il portait le plus souvent un nœud papillon, des bagues à chaque doigt, un plastron blanc et un chapeau haut-de-forme, l’hiver de larges manteaux de fourrure. Il avait peur de la maladie et de la contagion au point de porter toujours des gants et de ne pas les quitter, même pour serrer la main aux dames. Il était le maître absolu d’une cour fourmillante d’esclaves et de favoris, d’intrigues et de bannissements le tout soumis aux caprices d’un implacable tyran. Il souffrait de diabète. On lui avait prédit qu’il mourrait sur l’eau, il avait peur de voyager sur la mer. C’est pourquoi il n’était allé qu’une fois en Amérique. Il mourut le 19 août 1929 à Venise entouré d’eau. Il est enterré sur l’île de San Michel.


Serge Lifar


Pas de deux, chorégraphie de Georges Balanchine
A la mort de Diaghilev, les Ballets russes ont pour chorégraphe principal Serge Lifar l’une des « créatures » de Diaghilev et Georges Balanchine, ils vont tous les deux créer le style néo-classique en élargissant la codification académique sans renoncer à son esprit. Trouver une technique chorégraphique qui permette de rendre les idées modernes, de toucher la sensibilité contemporaine, c’était le problème qui se posait aux créateurs après que les Ballets russes eurent renouvelé le contenu de la danse. Une partie de l’ancienne troupe des Ballets russe se regroupe à Monaco en 1931 sous le nom de Ballet russes de Monte-Carlo sous la double direction du colonel Basil (ancien officier de l’armée impériale russe, il ouvre en 1925 une agence d’artistes à Paris. Il contribuera à la diffusion du ballet classique européen aux États-Unis) et de René Blum (le frère de l’homme d’état, journaliste et critique d’arts). En 1936 la troupe se scinde en deux, les Ballets russes du colonel Basil vont s’installer à New York avec Georges Balanchine qui montera très vite une école qui peu à peu deviendra la prestigieuse compagnie du « New York City Ballet ». René Blum reste seul à Monaco, déporté, il meurt 1942.

Pendant ce temps en Allemagne le chorégraphe Kurt Joos crée des ballets reflétant l’inquiétude de son époque. En 1932 « La Table verte » est un réquisitoire contre la guerre et les manipulations morbides des hommes d’affaires qui tiennent le monde. La réputation du chorégraphe franchit les frontières tant il est vrai que sa pièce est frappante et que son caractère prémonitoire ne tardera à se révéler douloureusement. Sommé par le pouvoir allemand de se séparer de ses collaborateurs d’origine juive, il s’installe en Angleterre. Après la guerre il retourne à Essen et fonde une école dont est issue Pina Bausch, qui deviendra l’une des plus célèbres chorégraphes du monde.
 

Le Marquis de Cuevas grand amateur de ballet, marié avec une des petites filles de John Rockefeller fait fusionner sa jeune compagnie américaine avec celle de Monte-Carlo pour former le « Grand ballet du Marquis de Cuevas ». Le marquis mène par ailleurs une brillante vie mondaine, organisant de somptueuses réceptions. Personnage haut en couleur, il régale le Tout-Paris d’un médiatique duel l’opposant à Serge Lifar en 1958. Il présente une centaine d’ouvrages en 15 ans prolongeant à sa manière la tradition instaurée par les Ballets russes de Diaghilev. La programmation de Cuevas est éblouissante. La troupe permet au public parisien de découvrir des ballets créés par les ballets russes aux États-Unis ainsi que des d’extraordinaires danseuses d’origine indienne, Marjorie Tallchief et Rosella Hightower. La disparition du grand ballet du Marquis de Cuevas en 1962  marque la fin d’une époque. Le temps des mécènes est révolu. Un ministère des Affaires culturelles a été mis en place en 1959 et l’on commence à parler de politique culturelle et de décentralisation. L’ère des financements publics de la création prend alors le relais.



Serge Lifar
Quelque mois après la mort de Diaghilev en 1929, Lifar est engagé à l’Opéra de Paris comme directeur du ballet, sur une initiative du directeur monsieur Jacques Rouché. Lifar va assez rapidement donner à la troupe nationale une discipline, relever l’exigence technique, rénover et élargir le répertoire, tout en lui rajoutant des œuvres de son cru « Suites de danses » « Phèdre », « Les Mirages », « Icare », « Les Noces fantastiques » et bien d’autres encore. Il obtient de la direction de l’Opéra des réformes importantes : création d’une classe d’adage, extinction du lustre pendant les représentations, interdiction du foyer de la danse aux abonnés, il fait raser les moustaches aux danseurs, il instaure en 1936 d’une soirée hebdomadaire réservée à la danse (le mercredi) et en 1941 il obtient que le mois de juillet soit réservé à la danse. Il élabore le style néo-classique qu’il expose dans son « Traité de danse académique » publié en 1949.  Il cherche à faire reconnaître le chorégraphe comme auteur à part entière, il préconise le terme de choréauteur. Il donne sa forme définitive au défilé du corps de ballet en 1947.


Deux solistes de la compagnie de Martha Graham dans un pas de deux


Martha Graham surnommée la grande prêtresse de la danse moderne américaine va en 1929 signer une chorégraphie qui s’appellera «  Lamentation »,  véritable acte de naissance de son art. Très jeune son père qui est médecin psychiatre lui explique qu’avant qu’un patient n’ait ouvert la bouche il a compris en observant la posture de son patient et sa manière de se mouvoir son mal-être. Il affirme à sa fille « que le mouvement ne ment pas » cela donne à Martha le désir d’apprendre la danse. « Quand Martha danse, on se demande pourquoi le reste du monde essaye de marcher ? » Ses pièces révèlent alors une dimension politique, elles mettent en lumière la crise économique et sociale que connaît le pays, les menaces de guerre qui brisent la vie internationale. En 1940 sa danse atteint sa plus profonde violence expressive. Elle est passionnée de peinture et découvre Kandinsky à qui nous devons le concept de la « nécessité intérieure », le rapport entre les couleurs, les formes, les intensités et l’espace qui les relie qui pour lui doit prévaloir dans tous les arts. Elle se lie d’amitié avec Calder. Sa longévité considérable (elle meurt à 97 ans), qui la fit croire immortelle et son tempérament de star peu encline à partager la gloire explique qu’on lui attribue volontiers l’invention de la danse moderne. Elle ne mesure pas plus qu’un mètre soixante, elle semble grande et élancée sur scène tant elle possède l’art de s’habiller. Elle considère le vêtement comme un prolongement du mouvement. L’un des solistes de sa compagnie s’appelle Merce Cunningham. Cet homme constituera un véritable pivot dans l’histoire de la danse moderne, il va avoir une influence directe au-delà de l’histoire de la danse, sur l’histoire des arts en général.


Martha Graham

En 1940 un jeune garçon est engagé dans le corps de ballet de l’Opéra de Paris après avoir fait ses classes à l’école de danse. Serge Lifar incite certains jeunes du corps de ballet à aller prendre des cours dans un lieu qui deviendra mythique : des danseuses de la première période des Ballets russes vont s’installer à Paris chassées par la révolution russe de 1917. L’Opéra ne souhaitant pas les accueillir dans ses murs elles trouveront l’hospitalité chez un vendeur de pianos, monsieur Wacker, qui va transformer ses salles d’exposition en studio de danse. Le studio Wacker, rue de Douai dans le IXe arrondissement, va devenir le lieu où les chorégraphes du monde entier viendront chercher les nouveaux talents pour leur nouvelle production. C’est ainsi que Roland Petit (c’était lui le jeune homme engagé dans le corps de ballet en 1940), Jean Babillé, Maurice Béjart vont se retrouver dans les cours de madame Egorova, madame Préo et madame Rousane. Ils ont tous les trois une grande admiration pour Serge Lifar qu’ils considèrent comme leur Maître. Roland Petit, Jean Babillé, Maurice Béjart trois noms auxquels va venir s’ajouter celui de Janine Charrat, enfant prodige, stupéfiante de maturité, indépendante et passionnée ils vont à partir de 1944 insuffler une extraordinaire énergie ainsi qu’une inventivité chorégraphique dans la continuité des Ballets russes de Diaghilev.


Affiche pour un spectacle avec Serge Lifar


Roland Petit


Roland Petit


Janine Charrat

Roland Petit démissionne de l’Opéra en 1944 pour créer sa première compagnie qu’il appelle « Les Ballets des Champs Elysées » il s’impose dés ses premières œuvres comme le chorégraphe d’après-guerre qui va donner un nouvel essor à l’art chorégraphique. « Les Forains », musique d'Henry Sauguet, donne le départ d’un grand nombre de créations qui vont venir enrichir l’histoire de la danse
« Le Jeune Homme et la Mort » sur la passacaille de Bach reste l’un des plus grands chefs-d'œuvre. Jean Babilée en est l’interprète qui reste encore aujourd’hui inégalé. « Carmen » de Georges Bizet, avec la révélation de l’interprète féminine : Renée Jeanmaire. Il intègre avec Carmen  l’érotisme au sein de la danse classique. Il ose couper les cheveux de son interprète. Zizi est née. Roland Petit est extraordinairement attiré par Broadway. Il y séjournera et y travaillera à plusieurs reprises.
Georges Balanchine devient en 1939 citoyen américain il va alors créer une danse « classique américaine » avec son identité propre. Il s’imprègne de la culture des comédies musicales. Il adore les femmes, les danseuses de sa compagnie sont plus glamour que romantiques. Il est appelé « M. B. » dans le monde entier. C’est un excellent musicien, il collabore étroitement avec Stravinsky (plus de 30 créations). Sa relation avec la musique est exceptionnelle. Il aime dire « Voyez la musique et écoutez la danse ». Ses ballets sont de véritables joyaux. C’est un extraordinaire chorégraphe du 20e siècle

On ne peut pas dissocier Georges Balanchine de Jérôme Robins.


Peter Martins, un des solistes de la compagnie de Georges Balanchine


Maurice Béjart


Affiche de West Side Story


Maurice Béjart
Jérôme Robins rayonne aux côtés de Georges Balanchine, jeune il développe une grande polyvalence de techniques. Il fait du théâtre avec Kazan, il pratique toutes les sortes de danses. Il travaille le théâtre yiddish. G. Balanchine le repère très jeune et lui offre de rentrer dans sa compagnie. Quelques années plus tard il partage la direction de la compagnie NYCB avec G. Balanchine.  Sa rencontre avec le musicien Léonard Bernstein sera déterminante puisqu’elle donnera naissance à l’œuvre intemporelle qu’est West Side Story. Avec Balanchine ils considèrent la comédie musicale comme un espace de travail typiquement américain et ils contribuent à en faire un genre véritable auquel ils donnent une véritable identité.

Fasciné par Serge Lifar, Maurice Béjart décide d’être danseur. Issue de sa rencontre avec Martha Graham et avec la musique concrète de Pierre Henry il crée la « Symphonie pour un homme seul ». Il met en scène l’angoisse permanente et quotidienne de la solitude, ce sera son premier chef-d'œuvre. « Le Sacre du printemps » lui ouvre la porte de la notoriété qui ne fera que s’amplifier. Il sort la danse des « théâtres à l’italienne » pour la diffuser dans les « palais des sports » ouvrant l’art de la danse à un public diversifié.
Béjart pédagogue ardent. Il cherche sans cesse à éveiller l’amour de la danse, la créativité, la pluridisciplinarité chez les jeunes. Avant tout, il aspire à pacifier l’homme moderne angoissé à le réconcilier spirituellement avec lui-même, l’univers, le créateur. Son amitié avec Léopold Senghor est déterminante dans son œuvre. La création de ses écoles Rudra et Mudra en Afrique va mettre en lumière ses talents de pédagogue. Il donne la possibilité aux Africains de croire en leur danse. La possibilité de représenter une Afrique de demain en gardant ses racines (Maurice Béjart avait une grand-mère sénégalaise). Il n’y a pas à l’époque d’école de danse moderne en France. Il va le premier insuffler le désir d’une formation pluridisciplinaire et contemporaine chez les jeunes d’Europe. Béjart citoyen du monde infatigable, à l’écoute de tous les traumatismes qui secouent notre planète va nous dire « Le monde est une illusion, une farce que Dieu a créées pour l’Homme. Il faut rire de cette blague terrible qu’il nous a faite ». Son œuvre est immense, il nous laisse un héritage inestimable que le monde de la danse va devoir faire rayonner au-delà des siècles. 

Maurice Béjart avait rencontré Martha Graham, la grande prêtresse de la danse moderne américaine. Le soliste de Martha était cet homme qui allait bouleverser les préceptes de la danse. Merce Cunningham, il va propulser la danse du côté de l’art abstrait et la faire rentrer dans la modernité. Il fait basculer toutes les règles. Fou de nouvelles technologies il invente un logiciel d’écriture du mouvement : Life Froms. Il introduit la notion de l’aléatoire. Il établi une échelle du mouvement et de décider en jouant aux dés leur ordre d’apparition. Reprenant la théorie d’Einstein «  Qu’il n’ya pas de point fixe dans l’espace » il déstructure la vision habituelle de la danse de théâtre. Les danseurs peuvent se présenter dans n’importe quelle direction de l’espace. De dos, de face, de profil, de trois quarts. L’idée de soliste et d’ensemble est définitivement anéantie. Chaque danseur est un centre. Sa rencontre avec John Cage en 1938 est prépondérante aussi bien en ce qui concerne sa vie artistique que sa vie privée. C’est un homme qui adorait rire, il aimait la vie. Il avait le projet d’inviter quelques-uns des danseurs de l’Opéra à New-York, pour qu’ils travaillent sur ordinateur. « Le jour Merce Cunningham » : jour de fête créé par le maire de New-York en 1994, le 16 avril anniversaire du Chorégraphe qui se célèbre chaque année. En France son influence est capitale, la plupart des chorégraphes de la nouvelle danse française des années 80 ont étudié à la « Merce Cunningham School » à New-York. En 1973 Rolf Libermann directeur de l’Opéra lui commande une pièce de 90 minutes pour 26 danseurs. On imagine le choc des cultures… Quelques œuvres de Merce : « Beach Birds », « Un jour ou deux », « Bipède », « Sumerspace » pièce emblématique…


Merce Cunningham


Carolyn Carlson
L’année suivante Rolf Libermann impose Carolyn Carlson. Elle crée « Densité 21 ». M. Libermann fonde pour elle le Groupe de Recherche de l’Opéra de Paris, il la nomme au rang d’Etoile. Elle développe une véritable poétique de l’espace. Elle crée des pièces en complète rupture avec la tradition de la Maison. Elle écrit plusieurs livres de poésie et pratique la calligraphie qu’elle utilise dans certaines de ses pièces.
Le ciel de l’Opéra Garnier va se moderniser, monsieur Malraux commande à Marc Chagall son plafond. Angelots et séraphins vont s’endormir sous les couleurs vives de la palette du peintre. Le souffle de Mai 68 pénètre dans le Palais Garnier. Deux jeunes danseurs donnent leur démission pour créer une compagnie « Le Théâtre du silence » :  Brigitte Lefèvre et Jacques Garnier. Leur rencontre avec Merce Cunningham est déterminante tous les deux chorégraphes ils vont ouvrir des chemins aux danseurs de la « Grande Maison » ayant le désir de faire bouger la « tradition ». Quelques années plus tard Jacques Garnier prend la suite de Carolyn Carlson à la tête du GROP et Brigitte Lefèvre devient directrice de la danse du Palais Garnier. Elle ouvre et amplifie le répertoire d’œuvres d’avant-garde : Pina Baush, Jiri Kylian, Angelin Preljocaj, Mats Ek et bien d’autres encore.

Le plafond de l'Opéra Garnier oeuvre de Marc Chagall


Pour conclure, il me semble important de vous livrer ces deux pensées qui résument à mes yeux ce siècle et qui nous projettent dans l’avenir.
Georges Balanchine : « Plus nous avançons en âge et plus il nous faut savoir oublier afin d’acquérir une science nouvelle. L’Art n’est pas de confirmer ce que nous savons déjà, mais de vous faire faire des découvertes, c’est à une nouvelle vision du monde que l’art doit nous convier »
Elie Wiesel : « Si Dieu a créé un monde imparfait, c’est pour rendre l’homme responsable et lui donner l’opportunité de créer ».

MM. et Mmes Fokine, Nijinski, Serge Lifar, Kurt Joos, Georges Balanchine, Jérôme Robbins, Martha Graham, Roland Petit, Jean Babilée, Janine Charrat, Maurice Béjart, Pina Bausch, Merce Cunningham, Carolyn Carlson, Jacques Garnier, Brigitte Lefèvre, et tous les autres que je n’ai pas pu nommer, nous devons les remercier d’avoir saisi l’opportunité que Dieu leur à faite de CRÉER.

Le 2 septembre 2009


                                               Anne-Marie Sandrini

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