Vingt jours d'Etretat à Ostende Haute Normandie Plages du nord
par Constant de Tours Editions May & Motteroz - Paris
La couverture de l'album
Gravure de Burggraff paru dans l'album
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....Les Petites-Dalles
Au
nord de Fécamp, à dix-huit kilomètres, à peu près à mi-chemin de
Saint-Valery-en-Caux, se trouve la jolie station des Petites-Dalles. La
route que nous suivons est tout aussi belle que celle d'Étretat à
Fécamp : la voiture remonte les charmantes vallées de Valmont et
de Ganzeville, passe par Colleville et Valmont, qui possède un
magnifique château datant de l'époque féodale et une ancienne abbaye
dont l'église renferme des merveilles de la Renaissance.
Après
avoir traversé le parc du château de Sassetot, on descend le délicieux
vallon où s'abrite le hameau des Petites-Dalles. C'est, comme toujours
depuis le Havre, une plage de galets étroitement resserrée entre de
hautes falaises et qui plonge en pente rapide dans la mer ; le
sable fin commence à s'y mêler timidement aux cailloux. Séjour tout à
fait intime, sans apparat mondain, les familles paisibles vivent ici
dans la plus douce tranquillité. Et pourtant... grands dieux ! qui
l'eût cru ? nous y avons vu éclater une révolution !
Notons
en passant l'épisode, c'est un trait de moeurs des plages. Mme Thénard,
de la Comédie française, accompagnée de quelques camarades en tournée
sur le littoral, parmi lesquels Valbel, retour de Saint-Pétersbourg,
venait d’arriver aux Petites-Dalles et devait jouer le soir. A la hâte
on dispose en salle de spectacle le grand salon de l'Hôtel, servant de
Casino. Mais on avait compté sans la « jeunesse » qui,
bientôt, arrivait joyeuse à la cloche du dîner, avec l'idée bien
arrêtée de danser pendant toute cette soirée réglementairement
consacrée au bal. Horreur ! La salle de bal, discrètement
éclairée, ressemblait à une nef d'église un jour de prêche : les
rangées de sièges s'alignaient parallèles et serrées. A table d'hôte on
avait commenté très passionnément ce changement subit de programme les
« ascendants » étaient pour la comédie, leurs
« descendants » pour les sauteries. Après le repas, de
nouveaux venus, locataires des villas voisines, munis de lanternes de
familles et emmitoufflés dans des « sorties » nocturnes,
grossirent en nombre à peu près égal les deux camps ennemis. Il n'est
pire, dit-on, que moutons enragés : la charmante artiste put à peine
paraître en scène ; des cris aigus, où perçaient de délicieuses
petites voix féminines, réclamèrent obstinément des lampions, des
lampions ! Le maître de céant se contenta d'éteindre ceux qu'il
avait allumés, pour faire évacuer la salle ; le vacarme continua
de plus belle dans l'obscurité quelqu'un conseilla d'aller chercher la
garde ! Mais où ? La mer elle-même reculait devant cette
révolte, c'était un doux reflux de morte-eau. Bref, tout le monde
battit en retraite comédiens, spectateurs d'âge mûr, danseurs d'âge
plus tendre « Véritable retraite de Russie, dit Valbel qui en
arrivait. » C'est ainsi que fut troublée tout un soir la quiétude
habituelle des habitants des Petites-Dalles.
Il y a de
nombreuses excursions à faire aux environs ; sur les jolies routes
encaissées et pleines d'ombrage, dans les bois épais qui couvrent les
hauteurs du vallon, dans le beau parc de Sassetot que nous avons déjà
traversé. Sassetot-le-Mauconcluit est situé entre les deux vallons des.
Petites-Dalles et des Grandes-Dalles ; son marché ravitaille les
villas des deux stations, ou plutôt celles des Petites-Dalles seules,
car, à vrai dire, le hameau des Grandes-Dalles ne possède guère que des
chaumières souvent désertées des baigneurs, et cependant la plage est
également abritée par deux hautes falaises et les galets sont tout
aussi ronds qu'à côté.
Au delà des Grandes-Dalles se trouve
Saint-Pierre-en-Port, autre hameau, qui domine sa plage enfouie dans
une charmante vallée plantée de hêtres.
C'est de l'autre côté
des Petites-Dalles, à six kilomètres, près de l'embouchure de la
Durdent qui sort des sources d'Héricourt-en-Caux et traverse Cany, que
s'étend la longue grève de Veulettes, abritée par une falaise élevée,
dépourvue d'ombrage, mais dont les flancs se sont creusés en grottes
curieuses que l'on va explorer à marée basse ; une digue naturelle
de galets protège le bourg et sa vieille église des XIIe et XIIIe
siècles. Non loin de là se trouve le village de
Saint-Martin-aux-Buneaux,dont l'église romane mérite une visite ;
l'escalier naturel du Val vous ramène aux Petites-Dalles.
De
Veulettes, on se rend directement par la voiture publique à Cany, ou
bien on revient aux Petites-Dalles, d'où les diligences de
l'Hôtel-Casino vous conduisent, en repassant à Sassetot par une jolie
route à travers bois et à travers champs jusqu’à la gare de Cany.
Cany
est un chef-lieu de canton de l’arrondissement d’Yvetot situé dans la
vallée boisée de la Durdent, dont les truites sont renommées ; son
hôtel de ville, ancien bailliage, l'église qui date du XVIe siècle, le
château construit par Mansart et dont le parc est magnifique, lui
attirent un grand nombre de visiteurs des plages voisines.
Le
lundi, jour de marché, la vieille place qu'encadre un immense bâtiment
dont les arcades rustiques et le premier étage, sous les combles,
servent de halle et de magasins, présente une animation des plus
réjouissantes : au-dessus des vaches qui beuglent, des moutons qui
bêlent, des poules et des coqs qui chantent et des marchandes qui
bourdonnent, s'élève sur un étroit piédestal le buste en marbre blanc
de Louis Bouilhet, né à Cany, le 27 mai 1822, « poète élégiaque,
dit son ami Gustave Flaubert, chantre de ruines et de clairs de
lune ; léger d'argent, riche d'espoir. »....