La « Glène »
de Jean-Baptiste BERTOT
(document aimablement adressé
par François
Feuilloley, arrière-petit-fils de Jean-Baptiste BERTOT)
Parmi les réservoirs à
crustacés déclarés en 1915, Jean-Claude MICHAUX
cite celui de mon arrière-grand-père paternel
Jean-Baptiste BERTOT, capitaine de pêche hauturière de
différents navires basés à Fécamp mais
résidant aux Petites Dalles.
Comme tout marin, il pratiquait lors de ses
loisirs puis lors de sa retraite la « pêche à la
rocaille » dans les rochers des Petites Dalles, principalement la
pêche aux caudrettes par l'amont.
Selon les habitudes de l'époque, il
détenait sa propre « glène » où il
pouvait entreposer une partie du produit de ses prises. Cette
« glène » répondait à un certain nombre
de caractéristiques énumérées
ci-après :
- Quant à sa localisation, ce
réservoir devait se trouver sur le passage entre
l'habitation et le lieu de pêche, dans un endroit facilement
accessible quels que soient le coefficient des marées et
l'état de la mer, le plus près possible de
l'habitation, en un lieu susceptible de retenir l'eau de mer
à marée descendante ou à l'étale de
basse mer. La prise en compte de ces différentes
contraintes explique l'existence de cette « glène »
à droite de la plage après la digue d'amont dans
cette zone de rochers appelée localement, en raison de son
accès aisé, le « Quin à parisiens »
(dans des villages similaires existent des lieux portant des noms
approchants liés à la vogue des bains de mer
attirant des horsains principalement parisiens ; par exemple
«la mare aux parisiens»).
- Quant à sa fabrication, la
«glène» nécessitait tout d'abord le
creusement par l'homme d'une cavité artificielle ayant
cette seule finalité (cette précision pour
éviter toute confusion avec l'interprétation
donnée dans d'autres villages, comme par exemple à
Yport, à l'existence de trous artificiels comparables : dans
cette localité, le creusement par l'homme de ces
cavités, d'une taille certes plus importante et comportant
des travaux de maçonnerie aurait permis de fournir des
matériaux pour la construction des habitations, ce qui
n'était pas le cas aux Petites Dalles). A
l'intérieur de cette cavité était
déposé un genre de coffre dont la partie
supérieure amovible était fermée à
l'aide d'un cadenas. Ce caisson fabriqué dans un bois
susceptible de résister aux agressions de l'eau de mer
était percé sur ses différentes faces d'une
multitude de petits trous afin de permettre le renouvellement de
l'eau de mer et assurer ainsi la survie des produits de la
pêche enfermés. Pour se prémunir contre le
risque de destruction et assurer la fixation du coffre, des galets
étaient glissés entre celui-ci et les bords de la
cavité coinçant ainsi le caisson et le rendant
solidaire du rocher environnant.
- Quant aux produits conservés, dans le
cas de mon arrière-grand-père, il s'agissait
exclusivement de salicoques (le bouquet des parisiens) et de
homards. En aucune façon, n'étaient
entreposés au sein de la «glène» les
autres produits comestibles de la pêche : étrilles,
tourteaux, crabes, poissons. Dans cette description la
cohabitation de salicoques et de homards dans un même
récipient, simultanément et sans moyen de
séparation peut paraître étonnante l'un des
deux crustacés étant le prédateur de l'autre.
Pour éviter le carnage qui aurait pu résulter de
cette situation, la technique consistait tout simplement à
immobiliser les pinces des homards en position fermée en
enfonçant à la jointure de chacune des pinces des
allumettes.
Le prélèvement des produits
conservés avait lieu en différentes occasions :
fêtes familiales, cadeaux. A cette époque, il arrivait
même que ces produits soient expédiés par la
Poste (!) à des parisiens lorsque certains liens
d'amitié s'étaient noués entre locaux et
horsains (dans mon enfance mon arrière-grand-mère et ma
grand-mère paternels me racontaient ces envois à
Monsieur DAUDET ou à d'autres connaissances
parisiennes).
Cette « glène » de Jean-Baptiste
BERTOT a existé jusqu'au début de la seconde guerre
mondiale puisqu'en 1939-1940, ma mère reçue pour la première fois dans sa future belle famille aux Petites Dalles
(où elle n'était jamais venue jusqu'à cette
date) découvrit avec le plaisir de la pêche dans les
rochers l'existence et le fonctionnement de cette
« glène ».
Vraisemblablement l'armée d'occupation
détruisit ces réservoirs à l'occasion de la mise
en place des défenses côtières et après la
libération personne ne remit en activité ce mode
original de conservation.