« Le
hameau des Petites Dalles, petit havre de pêcheurs
dépendant de la commune de Saint-Martin aux Buneaux, est
parfaitement situé dans un vallon boisé, resserré
entre deux falaises. Sa plage est abritée du côté
de la haute mer par une digue de rochers qui atténue la
violence des vagues ; le peu de largeur de la vallée la
protège contre l'irruption des vents. C'est à cette
position remarquablement avantageuse que ce pays doit la vogue dont il
jouit depuis quelques années auprès des baigneurs.
« Nous
avions tant entendu vanter les promenades des Petites Dalles, que nous
voulûmes juger par nous-mêmes si elles méritaient
leur réputation. Dans l'après-midi nous allâmes au
château de Martanville; il était habité, nous ne
pûmes donc le visiter. Mais j'avoue qu'il est impossible de
parcourir un plus joli pays que celui que nous traversâmes pour
nous y rendre, et qu'en revenant aux Petites Dalles, je fus très
frappée de l'effet que produit ce hameau, lorsqu'on y arrive par
la route de Fécamp. Ce ne sont que maisons blanches, proprettes,
et charmantes ; chalets rustiques aux volets verts, aux jardinets
fleuris, couverts de clématites et de rosiers grimpants, maisons
et chalets à demi enfouis sous la verdure. Les arbres, souvent
si rares au bord de la mer, semblent pousser à plaisir dans ce
ravissant vallon. A mesure qu'on approche de la plage, les maisons,
d'abord un peu éloignées les unes des autres, se
rapprochent et forment une sorte de rue, en même temps elles
deviennent plus élégantes. C'est de ce côté
que s'élèvent les nouvelles constructions. Enfin tout
près de la mer se voient quelques luxueux chalets, les uns
achevés, les autres encore en voie de construction, mais tous
entourés de beaux jardins, pleins d'ombre et de fraîcheur.
« Ce
qu'on pourrait peut être reprocher à ce paysage, serait de
ressembler un peu à un décor d'opéra-comique; mais
en tout cas, le décor est réussi; il plait à
l'oeil et réjouit l'esprit.
« Le
lendemain, contre notre habitude, nous dormîmes la grasse
matinée ; nous nous étions beaucoup fatigués les
jours précédents et étions décidés
à nous reposer un peu. Nous n'avions pas d'ailleurs, nous le
pensions du moins, une bien longue étape à fournir, pour
nous rendre à Fécamp où nous devions dîner
et coucher.
« Nous
quittâmes les Petites-Dalles à une heure de
l'après-midi. Un chemin nouvellement tracé, je crois, et
en tout cas très raide et fort difficile, que nous prîmes
à gauche de la grande rue, nous conduisit en haut de la falaise
qui sépare les Petites-Dalles d'un autre hameau, situé
dans une vallée parallèle, et qu’on appelle je ne sais
pourquoi les Grandes-Dalles. C'est vers ce hameau que nous dirigions
pour l'instant nos pas. On nous avait assuré que nous y serions
en moins d'une demi-heure. Il parait que les Normands de cette
côte sont de fameux marcheurs, car nous marchions depuis une
heure sous un soleil de plomb, quand nous aperçûmes les
Grandes-Dalles au-dessous de nous, dans un fonds où nous ne
pouvions atteindre qu'en descendant à travers champs,
tâche fort difficile, car la pente est rapide, le sol
inégal et caillouteux, et la commune a négligé de
faire tracer un chemin, indispensable pourtant, non pour les rares
voyageurs qui n'en profiteraient guère, mais pour tous ceux des
habitants qui ont des terres sur la falaise. Enfin, avec beaucoup de
peine, nous arrivâmes, exténués de fatigue, au bas
de la côte, dans une ruelle qui nous conduisit au village.
« La
chaleur et la marche nous avaient altérés; nous
cherchâmes un hôtel ou tout au moins quelque café,
où il nous fut possible de nous arrêter. Mais ces sortes
d'établissements sont inconnus aux Grandes Dalles. Ayant
aperçu de la rue une espèce de kiosque en chaume, sous
lequel étaient une table boiteuse, et quelques vieilles chaises
de paille communes, nous eûmes l'idée de nous informer si,
par hasard, nous ne pourrions nous procurer là une bouteille de
bière.
- Certainement nous répondit la femme à laquelle nous nous étions adressés ; on va vous servir.
« Elle
s'éloigna et revint bientôt, apportant une bouteille de
bière qu'elle déposa sur la table, ainsi qu'un paquet de
biscuits. La bière était exécrable, et je ne sais
depuis combien de temps les biscuits étaient chez elle, mais il
n'y avait qu'à y toucher pour les réduire en
poussière.
« Rentrés aux
Petites-Dalles vers six heures, nous dinâmes et passâmes
notre soirée sur la plage. Il y avait concert ce soir-là
à l'Hôtel des Bains, qui sert de casino. Mais après
avoir marché comme nous l'avions fait ce jour-là, nous
eussions craint, en y assistant, de scandaliser les habitués en
ne pouvant résister à un sommeil intempestif.
Etendus sur le sable, nous
goutâmes pendant une heure le plaisir de respirer à pleins
poumons un air pur et vivifiant ; puis nous rentrâmes nous
coucher, et nous n'eûmes point de peine à nous endormir,
quoique le bruit des instruments arrivât jusqu'à nous,
mêlé à celui de la mer assez forte ce
soir-là. »
Note de Sébastien Périaux :
- cela parait trop long « plus d'une
heure » pour rejoindre les Grandes Dalles. Ces dames auront
dû se perdre et faire un détour.
- remarquez le savoureux « hameau qui s'appelle je ne sais pourquoi les
Grandes Dalles ». On y voit tout le dédain d'une dame vexée par le tour
qu'ont pris ses aventures.
Il est situé dans un « fonds », et non dans une
vallée, c'est pour elle clairement un lieu reculé loin de
la civilisation. Ainsi que la « ruelle », qui laisse
imaginer de pauvres masures, et « la
table boiteuse et des chaises de paille commune » qui sont pour
elle du
même acabit. Les Grandes Dalles, c'est la misère. Quant
à la bière exécrable et les biscuits rassis, c'est
le fonds du calice qu'elle a dû boire.
En bref, n'allez surtout pas aux Grandes Dalles, à en croire cette honorable dame, c'est un trou misérable.