Décembre 2004

A propos de l'origine des Catelets

et du recul des falaises

Les commentaires de Sébastien Périaux

Je souhaite ici réagir aux remarques intéressantes sur l'origine des Catelets mises en ligne récemment, et afin de rétablir le sérieux des efforts de raisonnement, il me paraît utile de résumer ici quelques notions clés géographiques et historiques scientifiquement établies :

- Après la dernière glaciation (il y a 10.000 ans), la vallée du fleuve Manche (Somme + Tamise + Rhin) a été envahie par la mer (transgression marine) environ 5000 ans av. J.-C.. Le début de l'érosion des flancs de la vallée date de cette époque. Le recul des falaises est donc un phénomène ancien qui est déjà relaté au 13e siècle, mais irrégulier (il existe des représentations très anciennes (proto-historiques) du relief particulier d'Etretat).

- La côte du pays de Caux présentait au départ un profil de caps et d'arches très découpés comme à Etretat, profil qui a été en quelques millénaires (environ 7) totalement abrasé pour devenir assez rectiligne.

- Certaines zones reculent par petits éboulements constants, d'autres reculent par grands pans de temps à autre. La moyenne étant de 10 cm / an entre le 1er et le 19eme siècle. Cette moyenne a doublé pour s'établir à 21 cm dans le dernier tiers du 20e siècle avec pour les zones les plus lentes un recul de 8 cm environ.

- Le recul au moment de l'époque romaine a pu être au maximum d'environ 200 m et environ 80 m de recul au minimum. Ce qui permet de presque toujours englober les Catelets a l'époque romaine, ce qui est pour moi l'époque déterminante (voir ci après).

- Une chose est sûre: le relief des Dalles a considérablement changé. Un exemple : regardons le tableau de Paul Wallon de 1869 : une arche intacte figure entre les Petites-Dalles et les Grandes-Dalles, et elle a complètement disparu au début du 20e siècle. La falaise des Petites et Grandes-Dalles recule donc par "grands pans" et notamment lors/après des grandes tempêtes.

 

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- Il y a eu un cordon de forts et fortins a l'époque romaine tout le long du littéral cauchois (lire les annales cauchoises, BNF). Je crois me souvenir qu'il s'appelait le "tractus armoricus". Avant cette mention, il n'existe aucune trace historique du littoral cauchois.

 

Quelques remarques historiologiques qui ne constituent SURTOUT PAS des preuves, mais des indices à considérer :

- la plupart des cartes anciennes de la côte du Pays de Caux présentent un relief très échancré, malgré leurs erreurs et leur approximations qui corroborent les analyses scientifiques relatées plus haut. Je viens de trouver une carte publiée 1627 (donc la plus ancienne à ce jour) qui ne mentionne qu'une seule vallée : Dalles.

- si Frère Oudinet relate la présence d'une "bâtisse" sur les Catelets, — et que ses propos ont un sens —, c'est qu'ils étaient habitables à une certaine époque. On peut certes y voir un delirium tremens dudit Oudinet, mais quel est le point ?

- le nom de Catelets peut certes être dû à une forme évocatrice abrasée, mais il est aussi permis d'y voir une origine fonctionnelle comme dans la plupart des toponymes, donc de petits forts.


Autres remarques sur l'intervention :

- Le facteur dominant de l'érosion des falaises côtières n'est pas le gel/dégel. C'est la présence/absence du cordon de galets protecteur, rôle déterminé par l'évolution marine, par l'exploitation humaine, et par les aménagements balnéo/portuaires de la côte (épis, ports, etc.). les scientifiques estiment à l'heure actuelle qu'avec la montée des eaux marines due au réchauffement, la vitesse d'érosion va encore doubler.

- Calculer la pente des vallées et valleuse pour en déduire la ligne de rivage ancienne est malheureusement faux. J'ai proposé ce même raisonnement à un géologue de l'Université du Havre et me suis fait "incendier". La raison en est toute une série de facteurs : les vallées s'enfoncent au cours du temps (l'altitude de leur fonds diminue en tout point, elles s'allongent (leur point de départ recule sans cesse vers l'intérieur du plateau cauchois), leur relief ancien érodé n'est pas forcément rectiligne (bien au contraire), etc.

- Etretat est justement la zone qui a le moins changé (voir plus haut) comme le prouve son trait de côte. On ne peut pas donc écrire que les autres portions du littoral (et donc les Dalles) aient aussi peu évolué.

 

Ces points sont étayés par des travaux scientifiques, et je profite de cette occasion pour citer les principales sources (la liste complète serait trop longue) avec quelques extraits significatifs :

 

- Alain Henaff, Yannick Lageat Université de Bretagne Occidentale, Laboratoire LETG Géolittomer-Brest, IUEM, Technopôle Brest-Iroise, Stéphane Costa, Université de Basse-Normandie, Laboratoire LETG Géophen, UFR Sciences de la Terre et Aménagement Régional, Esplanade de la Paix, BP5186, Emmanuelle Plessis, Université de Nantes, Laboratoire LETG Géolittomer-Nantes. (Les auteurs sont membres de l'UMR 6554 du CNRS et de l'ESPED).

"L'érosion des côtes à falaises est souvent exprimée par le biais des vitesses de recul du rivage. Ces taux de retrait donnent une bonne appréciation de leur érosion, mais ils masquent une partie du problème, c'est-à-dire les processus par lesquels les falaises sont érodées. Une étude diachronique des évolutions d'une partie de la côte crayeuse du Pays de Caux (Normandie, France) basée sur la comparaison des plans cadastraux et de photographies aériennes, ainsi que sur une approche naturaliste associée à des mesures de terrain, a permis de mesurer les vitesses de retrait de ces falaises et d'identifier chacun des processus d'érosion qui les affectent..."

 

- Professeur Joël RODET (Univ. de Rouen) et professeur Jean-Pierre LAUTRIDOU (Univ. de Caen). (in "Contrôle du karst quaternaire sur la genèse et l'évolution du trait de côte d'une région crayeuse de la Manche, Pays de Caux, Normandie, France)".

"Les côtes à falaises sont réputées actuelles, et le recul rapide du front gomme des morphologies continentales. Sur la Côte d'Albâtre, les falaises de craie sont connues pour leur évolution historique. Les résultats portent sur une typologie des caps, illustrant l'évolution classique d'un littoral à arches naturelles et l'identification d'éléments reliques d'un ancien littoral..."


- BERM (Université de Rouen. University of Sussex, Université de Caen, Commission Européenne)

"...Des vitesses de recul de falaise ont été calculées pour des cellules de 50 m de long et ceci pour toute la longueur du littoral à falaises crayeuses, apportant l'évaluation la plus détaillée du recul des falaises sur les deux rives... Les mesures de recul des falaises du côté français ont été réalisées grâce aux données existantes basées sur des photographies aériennes entre 1966 et 1995 (Haute-Normandie). De plus, des mesures prises au GPS ont été effectuées en 2000/2001. Une méthode supplémentaire a également été utilisée : 10 séries de photographies aériennes entre 1947 et 1995 à une échelle de 1/20 000 ont été analysées en relation au nombre et à la taille d'écroulements. Les résultats issus du GPS et de la photogrammétrie apportent une valeur moyenne de recul annuel pour tout le littoral de la Seine-Maritime de 20,9 cm..."

 

Sébastien Périaux