Poèmes de Jules Lange sur

les Petites-Dalles

Les poèmes sont de monsieur Jules Lange, pseudonyme : Jean Gellus ou Jean Guells.

Les caricatures sont du colonel Félix Cros. Elles ont été très aimablement fournies par sa femme, Mme Monique Cros, née Monique Chandelier.

 

COUPS DE FUSAIN (1938)

A tous les habitués des Petites-Dalles.

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir).

(Deux strophes différentes semblent correspondre à la même caricature: Mme Joanne Merci de me signaler les erreurs.

Entre quatre vers voici de sobres épigrammes,

L'acide n'en est pas dosé gramme par gramme ;

Certains y sont peut-être trop avantagés,

D'autres, excusez m'en, un peu trop négligés.

 

Mais quatre vers c'est court, et ces modestes traits

N'ont pas la prétention de viser aux portraits.

Pourtant si par méchante ou par bonne fortune

Vous vous reconnaissez, que ce soit sans rancune.

 

Aux Dalles, cet été, comme une épidémie

Une fièvre a sévi parmi les estivants :

La fièvre "carte" car, dés le soleil levant,

Leur foule allait bridger, encor tout endormie.

 

Madame JOANNE

Toujours alerte et jeune, heureuse destinée,

Elle était la plus gaie et prête à prendre part

Ardente à tous combats, que ce soit tôt ou tard.

Ce fut pour les joueurs la Guide-à-la-Joy-née.


Monsieur CHANDELIER

Le noble successeur des seigneurs de Blowitz

Au bridge chaque jour n'a pas son Austerlitz.

C'est qu'il tente parfois de téméraires bottes

C'est le jongleur de Notre-Dame-des-Lampottes.


Madame TISSIER

En tous temps, en tous lieux, un sourire appuyé

Fleurit sur son visage et la personnalise,

Reflet de ses goûters aux mille friandises :

Bref bien plus de douceurs que chez le "pas Tissier".

Monsieur RENARD

Un repas succulent est comme un beau discours :

S'il est tel le plus long vous paraîtra trop court,

Et par certains morceaux vous serez comblé d'aise :

Vous redemanderez du Renard rouennaise.

Madame CHANDELIER

Sa bonté pour autrui est parfois tyrannique

Tout comme sa passion pour la dame de pique

Qu'elle voie un bridgeur, elle l'aura prisonnier,

Mais demeure pour la fille du Gaulier.


Monsieur PINON

 

Fin, son regard matois filtrait sous sa paupière,

Il n'était pas bavard, mais toujours attentif ;

Son geste mesuré jamais n'était hâtif :

On l'avait surnommé le malin de not'ère.

?

Elégante et parée, aux Dalles comme à Nice,

Bérénice se pose aux bords du flot changeant,

Après avoir posé sur sa tête, engageant,

Chaque jour un béret tout neuf : ah "Béret Nice".


Colonel Félix CROS

Il vole en écoutant la chanson éternelle

Que le vent fait chanter aux fils de ses haubans

Comme au creux de son coeur un amour tout flambant,

Il vole, à tout jamais amoureux des chants d'ailes.

Madame BAUBY

Elle était volubile, et les phrases hâtives

Se bousculaient sans ordre en un vain branle-bas,

Epuisant quelquefois vos forces auditives :

C'est l'inconvénient du bo-bi-ba-ba-ba.

Monsieur MOURER

On m'affirme qu'Arthur se met en oraison

Afin qu'à bref délai se vende sa maison

Plus de trois cents billets : nulle plaisanterie.

Vous serez appâté : Mourez pour l'appât prie !


Madame DELCROIX

Elle disait un jour avoir pour tous les hommes

Un honnête penchant, c'est l'effet de la pomme.

Mais comme cependant d'autres en ont trop peu

Il faut la promouvoir "Reine Delcroix de feu".

Monsieur COLOMB

On devrait, c'est certain, rester un vrai marin

Quand on porte ce nom si grand dans la marine.

Au Christ offre, O Colomb, les traits que ta cousine

Décoche aux culs-terreux avec tant de dédain.

Monsieur André LESNE

Il est doux, émotif, prudent, souvent en vaine,

Sût par là conquérir plus d'un coeur féminin,

Et tout en savourant cet aimable butin

Il enfouit son gain au fond du bas de Lesne.

Madame LAMARCHE

N'avoir jamais que des effets peu recherchés

Se montrer en tous points et toujours si sincère

Qu'elle n'a plus pour nous, en fait, rien de caché

Telle en était la Marche et telle est la manière.


Monsieur FROMENT

Daudet l'a dit, quand Froment jeûne

Hérissé, l'air haineux, il ne supporte rien.

Il n'est heureux que s'il déjeune

Mais encore faut-il qu'il déjeune très bien !


?

Très bien, d'ailleurs c'est sa devise.

Cette dame le sait, qui témoignait hier

De sa brillante gaillardise !

A sa place, messieurs, tous nous en serions fier

Madame JOANNE

Hardi, Hardi! les petits gas!

Le guide vous montre la voie;

Regardez là. Le bridge en joie

Ne lasse pas. Suivez ses pas!

Monsieur Jules LANGE

Avec son nez majeur et son nom séraphique

Il conçoit, organise, et perd tous les tournois.

Sa technique polie est de Polytechnique,

Mais plus d'un partenaire en souffrit mainte fois.

Autre poème:

Madame Annick DELCROIX

Elle était vraiment si sincère,

Ses effets si peu recherchés,

Qu'elle ne savait rien cacher!

Elle était vraiment si sincère,

Qu'on se montrerait trop sévère

En tentant de lui reprocher

De nous avoir effarouchés!

Elle était vraiment si sincère!

COUPS DE RATEAU

 

A Monsieur Pierre Chandelier

 

Assurer des cailloux le renivellement,

Rétablir avec soins leur harmonie détruite,

Ratisser en un mot est un plaisir charmant

Qui ne vous donnera jamais de méningite.

Mais il est malaisé de très bien ratisser ;

Ce n'est pas sans effort qu'on peut y passer maître,

Et seul l'ignorantin pourrait rapetisser

Cet art si délicat, où l'oeil du géomètre

Doit savoir s'allier au tact le plus parfait.

Vous ne le croyez pas, essayez, c'est un fait.

Quand on passe près des Lampottes

On entend le râteau qui frotte

Et s'escrime soir et matin

A repousser hors du jardin

Ces tas de vieilles feuilles mortes

Qui reviennent, mais il n'importe

Poussons, poussons,

Et je ratisse, ratissons.

 

Quand on a bien peiné et qu'on a mal aux reins

D'avoir ratissé tant et tant avec entrain,

On s'en va rechercher les plaisirs plus tranquilles

De bridges reposants mais non moins difficiles,

Auxquels on se complaît avec la même ardeur

Et la même maîtrise et le même bonheur,

Avec le même esprit de constante offensive ;

Et les argents, les ors de tous ces capucins,

Dont la témérité peut paraître naïve

Sont ratissés comme les cailloux du jardin.

Quand on vient à la cabirotte

C'est un autre râteau qui frotte

Et ramène hors du molleton

Les fafiots, les ducatons ;

Et cependant qu'on fait l'impasse

Agréablement le temps passe :

Passons, passons,

Et je ratisse, ratissons.

Bal travesti des Petites-Dalles du 15 août 1936

 

Les familles Lange et Wallon s'étaient déguisées au bal costumé du TCD le 15 août 1936 sur le thème du "Malade imaginaire" de Molière. C'est à cette occasion que monsieur Jules Lange rédigea le poème ci-dessous.

Le malade imaginaire

La même photo avec le nom des participants
(Cliquez sur l'image pour l'agrandir).

APPEL AU JURY

 

Suivant la saine tradition

Et dans une ardeur mutuelle

Nous avons eu la prétention,

Pour cette soirée annuelle,

Jouvenceaux comme jouvencelles,

Anciens, point encor décollés,

Cherchant avec soins nos modèles,

D'être ici les plus beaux Dallais.

 

Des greniers vidant les tréfonds

Riche de tant de brocatelles,

Nous avons combiné chiffons,

Dorures, rubans et dentelles,

Dans Molière où l'humour ruisselle

Nous avons relu, compilé,

Convaincus, sous cette tutelle

D'être ici les plus beaux Dallais.

 

C'est ainsi que nous vous offrons

La truculente clientèle

De ce malade vieux barbon,

Imaginaire qu'on appelle :

Docteurs, notaire, péronnelles,

Amoureux, tous ont défilé

Dans le désir, qui les harcèle,

D'être ici les plus beaux Dallais.

 

Envoi

 

Grand Jury, ne sois pas rebelle ;

De fierté nous serons comblés

Par ta parole solennelle

D'être ici les plus beaux Dallais.

TOURNOI DE BRIDGE

A la victorieuse invincible (A Mme Bauby)

 

Pendant cinq journées héroïques

Seize bridgeurs des plus cotés

En des engagements épiques

Tour à tour se sont affrontés,

Et, malgré la sévérité

De tant de gestes énergiques,

Sans faiblesse ils ont répété

Sans atout, carreau, trèfle, coeur ou pique.

 

Sages, en leur calme angélique

D'aucuns lentement ont monté.

Sur des demandes trop toxiques

D'autres brusquement ont chuté.

Faut pas trop de témérité

Et bien balancer ses répliques

Pour savoir ce qu'on doit tenter :

Sans atout, carreau, trèfle, coeur ou pique.

 

Classés dans l'ordre arithmétique,

Certains joueurs sont épatés,

Ceux surtout, et cela s'explique,

Qui sont un peu loin rejetés ;

Le sort a de ces cruautés,

De ces imprévus sataniques,

Qui tristement font avorter

Sans atout, carreau, trèfle, coeur ou pique.

 

Envoi

 

Princesse dans ta majesté

Daigne accueillir notre supplique :

Apprends nous à bien ajuster

Sans atout, carreau, trèfle, coeur ou pique.

Pour avoir la totalité des écrits de Jules LANGE, aller sur mon site perso en cliquant ici.