Décembre 2004

A propos de l'origine des Catelets,

et du recul des falaises.

 

Le point de vue de Pierre-François Mary

 

J'ai l'impression qu'à vouloir trop regarder les Petites-Dalles, on tourne un peu en rond. Oublions-les donc un instant et considérons l'ensemble du pays de Caux, à l'échelle géologique, comme le fait justement remarquer M. Dion.

Au cours de l'ère quaternaire, caractérisée par une alternance de périodes tempérées ou glaciaires, le plateau est apparu il y a 2 millions d'années par un soulèvement de ce qui avait été des fonds sous-marins, laissant toutefois le passage entre nous et l'Angleterre. Ces changements climatiques importants se sont traduits par une variation de l'ordre de 120 m du niveau de la mer au nord de notre région, découvrant aux périodes froides une vallée parcourue par un fleuve venant du pas-de-Calais et allant se jeter dans l'Atlantique entre Bretagne et Cornouailles, fleuve alimenté par un vaste lac au large de ce que sera la Belgique et résultant du blocage des eaux du Rhin par la calotte glaciaire au nord. Depuis, deux phénomènes intéressent ce plateau :

1/. Une érosion due à l'écoulement fluvial, en direction de la Manche. Erosion permanente, mais variable en intensité, pour disparaître en partie de nos jours. La plupart des rivières ou anciennes rivières prennent leur source au plus loin vers Saint-Saëns, au-delà elles partent vers le sud-est et le bassin de la Seine. Il faut noter que la côte se trouve à peu près aujourd'hui à mi-distance et à mi-hauteur entre le sommet du Pays de Caux et l'ancien niveau de la mer, nous en reparlerons.

Au total, une rivière parcourait alors de l'ordre de 450 km, y compris après son confluent avec le "Rhin".

2/. Une érosion maritime (lorsque la mer est présente), qui est à l'origine de falaises taillées dans le sol crayeux. On peut remarquer, sans prendre cela pour une preuve, qu'à raison de 10 cm par an, il faut 700.000 ans pour parcourir les 70 km depuis le centre de la Manche, ce qui est cohérent si on considère que pendant les 2 millions d'années, la mer n'est présente qu'un peu moins de la moitié du temps.

Au cours des cycles, on peut ainsi imaginer une succession de périodes froides et sèches, pendant lesquelles les falaises anciennes se rabotent peu à peu sous l'effet de l'érosion atmosphérique, comme celles aujourd'hui au nord d'Ault, entaillées par les vallées des rivières descendant le plateau, suivie de brusques remontées des eaux (450 km en 30.000 ans, cela fait 15 m par an !). La mer doit à certains endroits remonter assez profondément les vallées, avant que l'érosion n'égalise la ligne de côte, comme le dit Sébastien Périaux (par contre, je ne pense pas que la côte ressemble alors aux pointes d'Etretat. Celles-ci nécessitent à mon avis une roche particulièrement dure, l'érosion maritime les faisant sinon disparaître très rapidement.).

Si les deux phénomènes agissent de concert, il n'y a probablement pas beaucoup d'interactions, les vallées fluviales se formant indépendamment du déplacement de la ligne des falaises. Comme je le faisais remarquer plus haut, on est peut-être arrivé à un tournant, depuis quelques dizaines de milliers d'années, car les falaises ont atteint le niveau maximum de la mer sur la pente moyenne des rivières entre source et embouchure.

Si on revient maintenant à nos derniers 10.000 ans, ils ne représentent que le trait de crayon, tant sur l'échelle chronologique que sur la carte. Ce n'est que 0,5 % du temps écoulé depuis le soulèvement du Caux, soit 7 minutes avant minuit si on se ramène à une journée et à 10 cm par an cela ne fait que 1 km : le trait sur une carte d'école de la France.

Tout ça pour dire quoi ? Que ce que nous observons est insignifiant à l'échelle de ce qui a formé le paysage actuel et qu'il est difficile d'imaginer un rapport entre la forme des vallées et valleuses d'une part et le recul des falaises d'autre part.

En particulier, il est difficile d'imaginer une formation récente des valleuses suspendues : la vallée des Petites-Dalles est apparue après la formation de la grotte (ce qui prouve que le réseau hydrographique a beaucoup évolué depuis sa naissance), il y donc moins de 500.000 ans. Il lui a donc fallu au moins 300.000 années pour éroder le plateau et arriver au niveau actuel de la mer 100 m plus bas, c'est à dire 1 m tous les 3000 ans. Même à 1 m en 1000 ans, cela ne fait pas plus de 10 m, et sur une falaise qui dans le même temps recule de 1 km : on est loin du compte ! On me dira que le terrain est peut-être plus tendre à cet endroit, mais dans ce cas l'érosion pendant 1 million d'années l'aurait d'autant plus attaquée.

Dernier point pour revenir à l'échelle locale. Comme le rappelle Sébastien Périaux, on peut très bien imaginer que les Catelets soient la marque de l'ancienne rive droite de la rivière des Petites Dalles avant d'aller rejoindre celle des Grandes.

Par contre, y installer une construction jusqu'au XVIIIe siècle me laisse toujours dans le doute : le récif est aujourd'hui recouvert par plus de 8 m d'eau. Il faudrait donc que plus de 10 m de roches aient été rabotés en 250 ans, roches qui pourtant auraient été suffisamment dures pour résister plus de 3000 ans, après avoir été dépassées par la ligne des falaises.

Au fait quelle est la mention la plus ancienne des "Catelets" et où ? Et puis, pourquoi un Cauchois irait-il construire un bâtiment au ras des flots, à la merci de la première tempête, alors qu'on est si bien dans le vallon ?

 

Pierre-François Mary