La déclaration de guerre de la France et du Royaume-Uni à l'Allemagne, le 3 septembre 1939, survint alors qu'un certain nombre de vacanciers étaient encore aux Petites-Dalles. Beaucoup de famille décidèrent de rester en Normandie plutôt que de rentrer à Paris, Rouen ou Le Havre étant donné le risque de bombardements. Les Petites-Dalles restèrent cette année là très animées, la plupart des pères de famille y ayant laissé femme et enfants. Un collège libre s'était installé à Saint-Pierre-en-Port, et tous les matins, un car s'arrêtait devant l'actuel restaurant de l'Espérance, alors maison Desjardin, pour le ramassage des écoliers et écolières. En fin d'après-midi, il ramenait sa fournée d'enfants.
L'hiver fut assez froid, il neigea dans la région. La vie continua ainsi jusqu'en décembre. Le danger des bombardements allemands semblant avoir disparu, certaines familles repartirent alors pour rentrer chez elles ; il ne se passait finalement pas grand chose. C'était la "drôle de guerre".
Et puis, ce fut le coup de tonnerre : l'invasion de la France le 10 mai 1940. Il n'est pas nécessaire de donner une description de la débâcle et de l'exode qui s'en suivit. Les habitants des Petites-Dalles, après avoir accueilli des réfugiés belges n'échappèrent pas à cet exode collectif. Les Allemands avançaient sans rencontrer beaucoup de résistance. Paris tomba. Rommel, à la tête de la 7ème division de Panzer, atteignit la Manche aux Petites-Dalles même le 10 juin 1940 vers 11h30 (voir le récit de Rommel lui-même) et le site de Saint-Valery-en-Caux. Des sursauts d'héroïsme désespérés eurent lieu : à Sassetot, le garde champêtre voulut s'opposer au premier Allemand arrivé en éclaireur:
"...un motocycliste de l'armée allemande fut arrêté par Charles Déportes, garde champêtre. Désarmé et quelque peu malmené, il fut conduit à la mairie où le Maire le fit relâcher. Quelques minutes plus tard, il revint accompagné des soldats de son unité. Tous les hommes du village furent rassemblés. Le motocycliste désigna 4 hommes (Charles Désportes 71 ans, Germain Blondel 36 ans, Edouard Avenel 59 ans et Jean Hervieu 74 ans) qu'il crut reconnaître, bien que 2 étaient innocents. Les hommes furent regroupés et abattus sur place. Ce ne fut que sur la vive instance des habitants de ce village qu'ils seront enterrés." Une stèle commémorative de ce triste événement a été érigée à Sassetot.
(in: Hommage aux fusillés et aux massacrés de la résistance en Seine Maritime. 1940-1944. Edité par l'Association Départementale de la Résistance de Seine-Maritime. 1992. Saint-Etienne-du-Rouvray.)
L'après-midi même du 10 juin 1940 Fécamp fut pris. Puis Rommel et sa 7ème division de Panzer repartirent vers le Nord-Est pour encercler Saint-Valery-en-Caux le 11 juin. La ville se rendit le lendemain soir et près de 13.000 hommes furent ainsi fait prisonniers. Le 17 juin la division de Rommel, qu'on avait surnommée la "division fantôme" du fait de sa rapidité de manoeuvre, fonça vers l'Ouest pour assiéger Cherbourg qui capitula le 19 juin. L'armistice fut signé le 21 juin.
Les troupes allemandes occupèrent les Petites-Dalles de manière variable selon les périodes. Les maisons inoccupées furent pillées. En 1942, mademoiselle Simone Wallon, de la villa Les Chrysanthèmes, arrière-petite-fille d'Henri Wallon, put venir récupérer meubles et objets, voici son récit :
"En 1942, je pus aller aux Petites-Dalles avec oncle Georges, entre deux passages de troupes allemandes, pour essayer de sauver ce qui pouvait l'être, tant aux Mouettes qu'aux Chrysanthèmes : train jusqu'à Yvetot, taxi jusqu'à Sassetot où l'hôtel du Commerce (actuelle pharmacie) nous accueillit au soir de notre arrivée. Ah le bon dîner : soupe, omelette, confiture et pain presque à volonté ! Le lendemain, tout ce qui était transportable : meubles subsistants, piano des Mouettes, quelques chaises, fut mis en sûreté (relative) chez Mme Beaufils, la blanchisseuse, notre gardienne. Tout ce qui relevait du "petit mobilier", porcelaine, linge de maison, etc. avait disparu. L'annexe des Chrysanthèmes s'ornait d'un écriteau : "Kommandantur". Cela nous a valu de ne pas être trop démoli ! Au bord de mer, l'hôtel des bains, la tour de pierre, les villas les plus proches de la plage (Guibert, Rolland, Lancrenon) étaient en partie en ruines."
En 1944, elle retourne aux Petites-Dalles:
"A la fin de février 1944, la mairie de Saint-Martin m'avertit d'avoir à débarrasser la maison ou les lieux de remise de nos affaires avant le 28 février à minuit, la côte devant être entièrement vidée de sa population sur environ 2 kilomètres de profondeur, afin que l'armée d'occupation puisse édifier les défenses nécessaires et en particulier miner les abords du pays. Nous sommes partis en hâte, oncle Georges et moi, ayant eu la chance d'obtenir rapidement un ticket nous autorisant à prendre un billet pour Yvetot. Il fallait trouver sur place des hommes, un camion et filer sur les Petites-Dalles. Nous passâmes la nuit à l'hôtel de la gare à moitié bombardé, oncle Georges dans une chambre à laquelle manquait un mur (sur la rue !) ; par bonheur, la mienne tenait à peu près debout.
Toute la population était sur les routes, traînant charrettes couvertes de matelas et ustensiles de toutes sortes ; des autos à gazogène essayaient de se frayer un chemin entre camions et piétons : un vrai tableau d'exode. Tout le monde aux Petites-Dalles essayait d'emporter le maximum, c'était pitoyable. Vers midi et demi, Mme Duclos, la boulangère, nous fit savoir qu'elle avait préparé pour tout le monde un repas champêtre, à côté de la boulangerie, dans le jardin de Double-mètre. De grandes tables à tréteaux avaient été dressées et tous les habitant du pays encore sur place, "parisiens", transporteurs, enfants, tous furent rassasiés (et gratuitement : Mme Duclos n'accepta quelque contribution que ce soit !). Et dans la soirée, les maisons ayant été vidées au maximum, tout ce monde reprit la route vers Sassetot, Vinnemerville, Saint-Martin ou — comme nous — vers Yvetot. La nuit tombait, il neigeait, on pataugeait dans la boue glacée de la route avec nos chaussures à semelles de bois... Et voilà qu'à environ 7 ou 8 kilomètres d'Yvetot, notre camion à gazogène creva. Il était près de 11 heures, or le couvre-feu commençait pile à 11 heures. Il faisait nuit noire. Finalement le chauffeur réussit à changer la roue et aucune patrouille ne nous arrêta avant l'arrivée à Yvetot. Nos affaires rangées dans le garage de notre camionneur, nous n'eûmes qu'à aller nous coucher. Et le lendemain matin, pour pouvoir reprendre un billet pour Paris j'éblouis oncle Georges en falsifiant notre ticket d'entrée à la gare de la veille, pour pouvoir reprendre le train pour Paris."
Pour protéger la côte d'un éventuel débarquement des alliés, les falaises s'ornèrent alors de "bunker" en béton et les plages furent truffées d'obstacles dont on retrouve encore actuellement parfois des restes dans les rochers. Plus de 50 ans après on retrouve encore notamment des blocs de béton qui servaient de mines et dans lesquels étaient enfouies des munitions. Ces blocs peuvent être dangereux. Il s'agit, ci-contre, d'une photo exceptionnelle de la plage des Petites-Dalles prise en mai 1944 par un avion de reconnaissance américain, un P38, et publiée en 1984 par la revue d'histoire aéronautique Icare dans un numéro consacré au Débarquement (tome 2, page 88). (Cliquez sur l'image pour l'agrandir). Document aimablement adressé par Pierre-François Mary. |
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Document trouvé sur le web par
Pierre-François Mary et montrant la manière
dont étaient installés les poteaux en
bétons qui jonchent encore les rochers.
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De nombreux bateaux furent coulés dans la Manche. Deux épaves allemandes reposent au large des Petites-Dalles.
Et puis ce fut enfin la libération. Continuons à suivre le récit de Mlle Simone Wallon :
"Paris libéré fin août 1944, nous n'avions qu'une idée : aller aux Petites-Dalles pour savoir ce qui restait de nos biens, tant aux Dalles qu'à Yvetot pour les Renard. Aux premiers jours de septembre, oncle Georges, Mme Renard, son fils Georges et moi partions à bicyclette vers la Normandie libérée. Ce fut un voyage, fatigant, épuisant même. Quelquefois, dans les côtes — et il y en a pour aller à Rouen — nous arrivions à nous accrocher à un camion américain dont les "boys" nous lançaient en riant... des préservatifs et des tablettes de chocolat. Il a fallu coucher à Cany (Mme Renard et son fils nous avaient quittés à Yvetot) et, le lendemain matin, nous avons pu retrouver Mme Duclos, installée à Saint-Martin, ou plutôt à la Grand-Rue. M. Duclos, à qui nous demandions s'il nous serait possible de descendre jusqu'aux Petites-Dalles étant donné que tous les chemins étaient minés, nous conseilla d'y aller à pied : sur les chemins et la route, les grosses mines étaient bien visibles dans leur trou.
Et voici que, dans le jardin des Chrysanthèmes, nous découvrons les poiriers en espalier le long du mur, couverts de fruits ! Oncle Georges se pencha pour en cueillir lorsque j'aperçus sous son talon, une petite fumée jaillissante... une petite mine qui, mouillée, avait "foiré". Jamais nous n'avons couru aussi vite ! Le terrain était entièrement miné en rangées écartées de 2 mètres les unes des autres, les mines se succédant de mètre en mètre ; du bon travail ! Il a fallu laisser nos belles poires, bien marris de l'histoire. La vieille route de Saint-Martin (au-delà de la maison des Perpillou) était traversée par un énorme fossé antichar qui traversait toute la vallée des Dalles, les avenues et aboutissait à la ferme des Bruyères. Le tout également miné. Les maisons du bord de mer étaient en ruines, pires qu'avant. Beaucoup de toits délabrés, les poutres des toitures avaient été enlevées. Mais le pays était libéré et la vie pourrait reprendre, cahin-caha (après déminage). Mais les Mouettes et les Chrysanthèmes étaient encore debout. Et ce fut le retour sur Paris, par une pluie battante, pédalant dans le brouillard, trempés, exténués."
Photos aériennes des Petites-Dalles prises après la guerre, la première avant la construction du parking de la plage, la deuxième juste après. Cliquez dessus pour les agrandir. |
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